Le lac Kivu menace ses
riverains
(Courrier
International 31/07/2009)
Deux
millions de personnes pourraient perdre la vie si
les importantes quantités de dioxyde de carbone et
de méthane retenues par les eaux du lac Kivu
venaient à s'échapper. Des scientifiques mettent en
garde contre un tel désastre si aucune mesure de
précaution n'est prise.
Les scientifiques ont prévenu : plus de 2 millions
de personnes vivant sur les rives du lac Kivu, dans
le centre de l'Afrique, sont menacées d'asphyxie si
le gaz qui se trouve retenu sous la surface
s'échappe. On estime que le lac, à cheval sur la
frontière entre la république démocratique du Congo
et le Rwanda, contient actuellement 300 kilomètres
cubes de dioxyde de carbone et 60 kilomètres cubes
de méthane, qui sont remontés dans le Kivu par des
cheminées volcaniques. Les gaz sont piégés dans des
couches d'eau situées à 80 mètres de profondeur en
raison des fortes pressions qui s'exercent.
Cependant, les chercheurs sont inquiets car des
événements géologiques ou volcaniques pourraient
perturber ces eaux profondes, qui laisseraient alors
les gaz s'échapper.
Les effets seraient dévastateurs, comme le démontre
l'éruption du lac Nyos au Cameroun, le 21 août 1986.
Ses eaux étaient saturées en dioxyde de carbone et
un événement perturbateur majeur, très probablement
un glissement de terrain, a provoqué la remontée
d'une énorme quantité de gaz depuis les profondeurs,
gaz qui s'est ensuite répandu dans les vallées
situées autour du lac de cratère. Le dioxyde de
carbone étant plus lourd que l'air, le nuage est
resté au niveau du sol et a asphyxié toutes les
formes de vie. Plus de 1 700 personnes sont mortes.
“Le lac ressemblait à une bouteille de bière qu'on
aurait secouée”, explique le professeur George Kling,
du département d'écologie et de biologie de
l'évolution de l'université du Michigan. “Quand vous
ouvrez une bouteille de bière, le dioxyde de carbone
s'échappe et la mousse déborde. A l'échelle d'un
verre, ce n'est pas grave. A l'échelle d'un lac, le
risque est mortel.” Kling s'est depuis intéressé au
lac Kivu, qui fait 300 fois la taille du lac Nyos et
contient 350 fois plus de gaz. Mais, ce qui est le
plus inquiétant, c'est que les rives du Kivu sont
beaucoup plus peuplées. Deux millions de personnes
environ y vivent, dont 250 000 dans la ville de
Goma.
Le volcan Nyiragongo, près de Goma, est entré en
éruption en 2002 et de la lave s'est écoulée dans le
lac Kivu pendant plusieurs jours. Cette fois, les
couches profondes n'ont subi aucune perturbation, il
n'y a donc pas eu d'émanations mortelles de dioxyde
de carbone ou de méthane. Cependant, Kling a lancé
un avertissement dans la revue Nature du mois de
juillet : dans l'hypothèse d'une autre éruption, la
région pourrait avoir moins de chance. Les
conséquences seraient telles que le désastre qui a
frappé Nyos ne serait en comparaison qu'un pétard
mouillé. “Kivu est un peu le grand frère maléfique
de Nyos”, explique Kling à Nature.
Les problèmes du Kivu viennent du dioxyde de carbone
issu des roches en fusion, qui traverse ensuite le
fond du lac. La région, qui fait partie du grand
rift africain, est sujette à une forte activité
volcanique. De plus, une partie du dioxyde de
carbone a été transformée en méthane par les
bactéries présentes dans le lac, d'où l'accumulation
des deux gaz.
Selon des études menées par les chercheurs de
l'Institut fédéral suisse des sciences et
technologies aquatiques, la concentration en dioxyde
de carbone dans le Kivu a augmenté de 10 % entre
1974 et 2004. Celle de méthane est passée de 15 à 20
%. Dans le même temps, les fossiles de plancton
présents dans le fond du lac ont montré que
plusieurs extinctions biologiques importantes ont eu
lieu dans le Kivu au cours des derniers millénaires.
Il est cependant impossible de dire si une nouvelle
crise biologique est imminente, expliquent les
chercheurs à Nature.
Actuellement, des ingénieurs essaient d'exploiter
les importantes ressources en méthane du Kivu grâce
à des plates-formes flottantes d'où partent des
conduites qui descendent jusqu'aux couches profondes
pour récupérer le gaz. Il pourrait ensuite être
utilisé comme source d'énergie industrielle et
domestique. Plusieurs projets sont en cours, mais un
seul produit actuellement de l'électricité (quoique
de manière irrégulière) pour le réseau rwandais.
L'année dernière, une plate-forme a coulé un peu
avant la date prévue du démarrage de la production.
Théoriquement, d'après les ingénieurs,
l'exploitation du méthane du Kivu pourrait diminuer
les risques d'éruption mortelle. Néanmoins, au dire
des scientifiques, bricoler avec les gaz présents
dans le lac, c'est jouer avec le feu.
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