Interview exclusive : Jean-Baptiste Mberabahizi, opposant
rwandais nie l’existence de la démocratie au Rwanda
17-09-2008
Ce lundi 15
septembre, des élections parlementaires ont eu lieu au Rwanda.
C’était une occasion la semaine passée pour Paul Kagame de
donner une interview au journal belge « Le Soir », dans laquelle
il donne ses points de vue sur le bilan de sa politique en tant
que Président de ce pays et sur le conflit avec la France,
notamment les accusations mutuelles concernant la période du
génocide de 1994. La guerre fait de nouveau rage au Kivu. Nous
avons recueilli les réactions de l’opposition rwandaise. Voici
la teneur de l’interview que nous a accordée depuis Bruxelles,
Jean-Baptiste Mberabahizi. Jean-Baptiste Mberabahizi est
Secrétaire-général et Porte-parole des FDU (Forces Démocratiques
Unifiées), la principale organisation de l’opposition rwandaise.
Question :
Paul Kagame dit que les élections législatives qui se
commenceront ce lundi 15 septembre sont « un processus
démocratique ». Il dit : « Les Rwandais auront le droit de
choisir librement et régulièrement leurs dirigeants. ». Pourquoi
l’opposition Rwandaise ne participe-t-elle pas à ces élections ?
Jean-Baptiste Mberabahizi :
Parce que les Rwandais ne sont pas libres de choisir leurs
dirigeants. Il n’y a pas de liberté dans le pays. On ne peut pas
parler de processus démocratique quand il n’existe pas les
conditions minimales pour une élection démocratique. La
constitution ne permet pas la liberté de l’activité politique,
la presse n’est pas libre. Dernièrement il y a encore un
journaliste qui a été expulsé vers la Tanzanie. Il collaborait à
« Umeseso », un journal qui fait montre un tout petit peu
d’indépendance vis-à-vis du pouvoir. En plus, les lois qui
régissent les partis politiques, la conduite des élections, la
composition et le fonctionnement de la commission électorale,
comportent tellement de limitations qu’il est tout simplement
ridicule de sa part de parler de processus démocratique. Parler
de « processus démocratique » est tout simplement du cynisme.
Question :
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de ces limitations à
la liberté de l’activité politique ?
Jean-Baptiste Mberabahizi :
Premièrement, tous les partis politiques ont le devoir de faire
partie de ce qu’on appelle le « Forum de Concertation » des
partis politiques. Donc, s’ils veulent être actifs légalement,
ils doivent obligatoirement être membres de ce « forum » qui est
financé par l’Etat, qui prend ses décisions par consensus et qui
peut s’immiscer dans les affaires internes des partis. Ce forum
présidé par le secrétaire général et le secrétaire permanent du
Fpr, est aussi un cadre du FPR. Cela fait du régime politique
rwandais un régime à parti unique de fait.
La deuxième limitation est le
fait que les partis politiques ne peuvent pas fonctionner sur
tout le territoire national. Le régime a agi de telle façon que
les partis politiques n’ont pas de structures au niveau local.
Le plus grave je trouve, c’est que la sécurité n’existe pas pour
les dirigeants de l’opposition. L’ancien président Pasteur
Bizimungu a été emprisonné et après libéré sans aucune
explication. Il avait été arrêté pour la simple raison qu’il
avait tenté de créer un parti politique indépendant du FPR.
D’ailleurs, un des codirigeants de ce parti, Charles Ntkirutinka,
ancien ministre des travaux publics après 1994, se trouve en
prison jusqu’à présent. C’est pour dire que toute possibilité de
contester la politique du FPR légalement ou pacifiquement est
simplement empêchée au Rwanda.
Il y a aussi l’exemple de
l’ancien secrétaire d’Etat à la planification économique,
Charles Kabanda, qui a voulu créer un parti juste avant les
élections de 2003. C’était l’ADEP-Amisero, un parti qui n’a
jamais pu voir le jour. La raison principale c’était que ce
parti n’était pas inféodé au FPR et qu’il aurait représenté une
véritable opposition au régime.
Troisièmement, les structures de
sécurité de l’Etat, notamment de la police et des services de
renseignements sont anti-démocratiques et ne peuvent absolument
pas garantir la sécurité des opposants. Par exemple, l’activité
principale de la principale organisation des renseignements, on
l’appelle « cushing the opposition », donc « traquer les
opposants », va jusqu’à les poursuivre à l’étranger. Par
exemple, elle a assassiné à Nairobi, le 16 mai 1998 Seth
Sendashonga, l’un des fondateurs des Forces de résistance pour
la démocratie (FRD), l’une des organisations fondatrices des FDU.
Ce n’est pas dans des conditions pareilles que l’on peut parler
d’élections démocratiques.
Quatrièmement, j’ai parlé tantôt
de la loi électorale. La commission électorale est présidée par
un membre du Comité exécutif du FPR, Chrysologue Karangwa. Elle
ne comprend évidemment aucun membre d’un parti politique
indépendant du FPR. D’ailleurs cela n’existe pas. Il y a neuf
partis politiques y compris le FPR. Six d’entre eux présentent
des candidats sur la liste du FPR. Ce sont en fait des factions
du FPR. Les deux qui restent sont le parti libéral et le parti
social-démocrate. Le parti libéral est présidé par un soldat de
l’armée rwandaise, Protais Mitali. A ma connaissance n’a jamais
quitté l’armée. En plus les membres de ce parti ont, depuis la
guerre de 90, toujours été en même temps des membres du FPR.
Quant au parti social-démocrate, la situation n’est pas
meilleure. Son président, Vincent Biruta, est aussi le président
du sénat et il est aussi membre du FPR depuis 1991. Il fait
semblant d’être un opposant mais en réalité il est membre du
FPR.
Enfin, le plus grave qui n’a
rien à voir avec la législation ou le fonctionnement des partis
politiques, c’est le fait que la plupart des dirigeants
politiques et militaires du FPR sont suspectés d’avoir commis
des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Certains
ont été commis au Rwanda, d’autres ont été commis en RDC.
Certains entre ’90 et ’94 et d’autres après ’94. Les populations
qui ont été victimes de ces crimes dont certains ont été
qualifiés comme des crimes contre l’humanité, voire de génocide,
des crimes de guerre, donc les populations qui ont été victimes
de ces crimes là, n’ont aucun moyen de s’exprimer. Quand vous
avez devant vous des gens qui viennent vous demander de voter
pour eux, alors que vous n’avez même pas le droit d’enterrer vos
morts, que vous êtes un paria dans votre propre pays, alors on
ne peut décemment pas parler de processus démocratique.
En Afrique du Sud, sous
l’apartheid, la majorité des Sud-Africains ne pouvaient pas
voter. C’est pareil au Rwanda. La seule différence, c’est que
Kagame prétend qu’il n’y a plus de discrimination ethnique et
que tous les Rwandais sont égaux et qu’en même temps il met tout
en œuvre pour empêcher toute possibilité de contester la
discrimination ethnique qui existe dans le pays.
Question :
Le bilan que Kagame fait de ses réalisations, ainsi que les
perspectives qu’il se donne semblent ambitieux. Il déclare avoir
« bataillé très dur » et il veut qu’en 2020, « le produit
intérieur brut soit de 900 dollars par citoyen ».
Jean-Baptiste Mberabahizi :
C’est un gros mensonge. L’année passée en 2007, une équipe
pluridisciplinaire du PNUD a rédigé un rapport sur le
développement humain au Rwanda. Le titre est « transformer la
vision 2020 en réalité ». La description dans ce rapport des
conditions de vie de la population rwandaise est tout le
contraire de ce que Kagame met en avant comme dans son bilan.
Entre 1994 et 2005, les revenus
des 20% des Rwandais les plus riches ont doublé pendant que ceux
des 20% des plus pauvres ont soit stagné, soit diminué. Le
rapport constate que sur 3 provinces des 5, la pauvreté a
augmenté et que dans les autres, la pauvreté s’est même
approfondie. 80% des Rwandais vivant à la campagne vivent en
dessous du seuil de la pauvreté. En ville ce chiffre est de 60%.
Le taux de mortalité infantile reste en dessous du niveau de
1990 et il reste inférieur à celui de la région. L’espérance de
vie des Rwandais est aujourd’hui de 44 ans, alors qu’avant la
guerre il était de 49 ans. En plus, le niveau du PIB (produit
intérieur brut) n’a pas augmenté au dessus du niveau d’avant la
guerre en 1990. En 2007 il était à 361$ par personne.
L’amélioration vantée pour les années 2000, 2001 et 2002,
correspondent avec l’occupation et le pillage des ressources de
la RDC. En plus, cette amélioration ne se situe pas au niveau
qu’on aurait pu atteindre si on tient compte avec l’aide
extérieure massive dont le Rwanda bénéficie depuis 10 ans, une
aide qui est en moyenne de 400 à 500 millions $ par an. L’impact
de l’aide est donc largement en dessous des possibilités. Le
rapport confirme aussi que le Rwanda se trouve parmi les 15 pays
les plus inégalitaires au monde. Les 20% des plus riches
détiennent 51,4% du PIB, alors que les 20% les plus pauvres
survivent avec seulement 5,4% du PIB. Le rapport note aussi que
si la répartition des revenus était restée la même qu’avant la
guerre en 90, le revenu des 20% les plus pauvres auraient pu
doubler.
Donc, le second problème le plus
aigu du régime FPR, c’est que ce régime est profondément
inégalitaire. Par exemple, alors que 90% de la population
rwandaise vit à la campagne, il n’y a que 3% du budget
gouvernemental qui est consacré à l’agriculture. Alors on
regarde où vont les crédits des banques ? Ce pourquoi on
mobilise et à quoi on affecte l’épargne des Rwandais ? 60% des
crédits vont en ville pour des projets de construction ou du
commerce import/export. D’ailleurs, on voit cela à Kigali, les
chantiers ne concernent presque rien d’autre que des bâtiments,
surtout privés. Et on emploie cela comme une sorte de vitrine,
pour montrer au monde entier que le régime est actif et réalise
des « miracles ». Quand on regarde combien de crédits vont aux
secteurs de l’énergie, de l’eau, et agriculture, cela ne dépasse
guère le niveau de 4%.
La meilleure illustration du
caractère inégal du régime est bien la différence entre le
revenu officiel mensuel de Kagame qui est de 26.000$ par mois
(selon l’arrêté présidentiel qui règle les émoluments et les
indemnités des dirigeants du pays) et le revenu d’un soldat
simple de l’armée rwandaise qui est de 41$ par mois. Devant un
bilan pareil, je crois que Kagame ferait mieux d’être modeste et
même de demander pardon. Ce rapport a d’ailleurs fait l’objet
d’une grande polémique. Le gouvernement a fait pression sur le
PNUD, cela n’a rien changé au rapport, mais le PNUD a du ajouter
un addendum où on a fait du rafistolage de ce rapport, pour
redorer son sale blason.
Question :
Dans cette interview, Paul Kagame se présente aussi comme un
homme qui ose aller à l’encontre de l’Occident. Il dit : « il
n’y a pas deux justices, l’une qui serait appliquée à l’Ouest et
une autre justice qui serait réservée aux pays en
développement. »
Jean-Baptiste Mberabahizi : Paul
Kagame est un agent de l’impérialisme américain en Afrique. La
signé un accord bilatéral dans lequel il garantit l’impunité aux
ressortissants américains en cas de poursuite par la Cour pénale
internationale. Depuis 1998 jusqu’à aujourd’hui, il mène une
guerre par procuration pour le compte des Etats-Unis et du
Royaume-Uni contre la RDC. Une guerre qui a fait 5,4 millions de
morts. Lors de l’invasion de l’Irak par l’armée américaine en
2003, Kagame était un des seuls dirigeants africains à soutenir
cette guerre, même si cette guerre était jugée illégitime par
les Nations Unies. Lors de l’élection du Président de la Banque
Africaine de Développement, Kagame a aidé les Occidentaux à
imposer leur candidat, son ministre des finances d’alors et
commissaire aux finances du FPR, Donald Kaberuka, contre le
candidat proposé par le groupe des pays africains, un
ressortissant nigérian jugé indomptable par les Occidentaux.
N’oublions enfin pas le fait qu’il y a une semaine l’armée
rwandaise vient de recevoir de la part des Etats-Unis 20
millions $ d’équipements militaires et que cette armée est liée
à l’armée américaine à travers des accords particuliers dans le
domaine de l’information et de la logistique. Ce sont des
accords de caractère néocolonial qui font que l’armée de Kagame
est une organisation supplétive pour l’armée américaine dans la
région et en Afrique. Comment est-ce que dans ces conditions,
Kagame peut se présenter comme un anti-impérialiste ?
Question :
Pourquoi Kagame s’en prend-t-il à la France ?
Jean-Baptiste Mberabahizi : La
France est une puissance en déclin. Ce n’est certainement pas la
puissance la plus dangereuse dans le monde aujourd’hui. Kagame
s’attaque à la France pour des raisons d’intérêts politiques. Il
joue la carte anti-française pour continuer à profiter de la
protection des ses maîtres britanniques et américains. Il y a
naturellement aussi le fait que Paul Kagame a commis des crimes.
Les Français n’ont pas commencé l’instruction concernant
l’affaire de l’attentat contre l’avion présidentiel rwandais,
abattu le 6 avril 1994, parce qu’ils n’aimaient pas Kagame.
Cette instruction est le résultat d’un dépôt de plainte de la
part des familles des membres de l’équipage français de l’avion
de Habyarimana, qui ont péri dans cet attentat. L’enquête n’a
fait que mettre à nu la responsabilité de Paul Kagame. Pour se
défendre, il attaque la France en tant qu’Etat et tente de se
faire passer aux yeux des Africains surtout des Africains
francophones pour un anti-néocolonialiste. Ce qui est du pur
cynisme.
D’abord la thèse qui prétend que
ce sont les extrémistes hutus qui ont abattu l’avion n’a pas de
sens. Dans cet avion se trouvaient des personnes que le FPR a
toujours accusées d’être les cerveaux des extrémistes hutu,
notamment le Colonel Elie Sagatwa et le Général Deogratias
Nsabimana. Comment peut-on les accuser d’avoir commandité
l’attentat qui devait les emporter eux-mêmes ? Ensuite, l’armée
gouvernementale d’alors, n’a jamais tiré un seul missile dans
toute la guerre qui a duré d’octobre 90 jusqu’au 94. Jamais, il
n’y a eu la moindre preuve que les FAR auraient eu des missiles
en dépôt. Comment peut-on supposer que, soudainement, ils ont
employé un missile pour cet attentat. Par contre, le FPR avait
effectivement des missiles et avait déjà employé un tel engin
contre un avion de la compagnie Scibe Zaïre, de l’homme
d’affaires Bemba Saolona, le père de l’ancien vice-président
Jean-Pierre Bemba, dont il tente dans l’interview de se faire
l’avocat devant la CPI. En plus, le FPR contrôlait le terrain
défendait son quartier général à Mulindi ainsi que le siège de
sa radio, grâce à des missiles. Paul Kagame s’est toujours
opposé à une quelconque enquête sur l’attentat. Ce n’est que
quand la justice française l’a mis en cause qu’il a mis en place
« un comité d’Experts », uniquement rwandais, auquel il a
commandé un rapport attendu en novembre de cette année et dont
les conclusions sont déjà connues. Or les restants de l’avion
sont toujours là, mais ils sont bien gardés et surveillés par
les soldats du FPR. L’ancien chef d’Etat-major de l’APR, Sam
Kaka, a même poussé le cynisme, jusqu’à organiser son mariage
sur ce lieu, en octobre 1994. Mais une enquête n’a jamais été
permise par le FPR. Et enfin, il y a une liste de témoins qui
étaient au quartier général du FPR et qui disent que c’est bien
Kagame qui a décidé d’abattre l’avion de Habyarimana.
Question :
Est-ce que la France n’a pas une part de responsabilité dans ce
qui s’est passé en 1994 au Rwanda ?
Jean-Baptiste Mberabahizi : La
France était présente jusqu’en 1993. Puis, elle a envoyé des
missions après l’attentat contre l’avion. Quelle que soit sa
responsabilité, ce n’est pas à Kagame d’en juger, car sa part de
responsabilité est maintes fois plus importante que celle de la
France.
Pour casser le discours raciste
qui est à la base du génocide, il faut une organisation qui se
profile comme étant une organisation nationale qui défend les
intérêts du peuple rwandais, sans distinction d’ethnie. Il
tentait et tente encore de se faire passer pour une telle
organisation. Or, le FPR n’était pas et n’est toujours pas une
organisation nationale et populaire. La direction n’a jamais
fait un effort pour recruter des cadres hutus, hormis quelques
recrutements cosmétiques. Elle n’avait aucun travail clandestin
à l’intérieur du pays et n’avait aucun souci non plus pour les
intérêts des paysans pauvres ou sans terre, qui avaient besoin
de terre pour cultiver et des prix convenables pour leurs
produits. Au contraire, dans les zones qu’ils ont occupé au nord
du pays pendant la période 90-94, ils ont massacrés ces paysans
pour les chasser de leur zone. Le FPR les traitait comme des
ennemis. Le FPR savait pertinemment bien l’état d’esprit des
milices et des extrémistes hutus, ils savaient de quoi ces gens
étaient capables et à quoi ils étaient disposés. Il les avait de
plus infiltré d’agents qui ont participé et encouragé les
massacres. Il savait qu’en cas de reprise des hostilités, ce qui
était inévitable après l’attentat contre l’avion de Habyarimana,
il y aurait des tueries à grande échelle et qu’il n’allait pas
pouvoir protéger les gens. La vérité, c’est que chez les
dirigeants du FPR, il y avait et il y a toujours, un mépris pour
la vie des Tutsis de l’intérieur. Le FPR était surtout composé
de Tutsi exilés. Le raisonnement était que « ce serait le
sacrifice nécessaire pour obtenir la victoire ». En plus, dans
le camp du FPR, on regardait et on regarde toujours les Tutsis
de l’intérieur comme des gens qui n’étaient pas des Tutsis
« purs ». Beaucoup de ces Tutsis étaient mariés avec des Hutu ou
vivaient ensemble avec leurs voisins hutus. Les gens du FPR les
considéraient et les considèrent toujours comme des Tutsi
dégénérés, voire même des « traîtres ».
Propos recueillis par
Jean-Pierre Bourras |