Monsieur le Président,
Je vis ma mise en examen pour incitation à la haine raciale et diffamation
raciale comme une flétrissure. Une flétrissure plus grave que la marque au
fer rouge de mon ancêtre condamné pour faux-saunage et mort deux ans plus
tard au bagne de Brest. Lui n'avait fait que vendre en Mayenne du sel acheté
en Bretagne aux seules fins de nourrir sa famille... Ce qui m'est imputé est
bien plus grave que d'avoir tenté d'éviter les gabelous pour ne pas payer
une taxe inique. Si le droit pénal qualifie l'incitation à la haine raciale
de délit, je la considère, quant à moi, comme un crime. Elle aboutit en
effet toujours à l'effusion de sang...
Depuis presque trois ans, je suis traîné dans la boue par de nombreux médias
– je pense notamment à Charlie-Hebdo qui cisèle les contours d'une liberté
d'expression à sa main ; dans le meilleur des cas, j'y suis présenté comme
un raciste, mais aussi comme un antisémite, un révisionniste, voire un
négationniste, comme ce fut aussi le cas dans Le Point sous la plume de M.
Bernard-Henri Lévy.
C'est tout simplement insupportable. D'ailleurs, mon cœur n'a pas supporté
ces attaques monstrueuses et injustes. Si vous deviez suivre l'accusation de
SOS Racisme, relayant l'association Ibuka, elle-même courroie de
transmission du gouvernement de Kigali, c'est toute ma vie, tous mes
combats, tous mes engagements que vous rayeriez d'un trait.
Cette affaire m'a amené à regarder en arrière et à me poser beaucoup de
questions. Je ne vais pas imposer au Tribunal la relation détaillée d'un
demi-siècle d'une vie bien remplie, mais je crois indispensable qu'il sache
le rôle important qu'ont joué dans mon parcours mes engagements contre le
colonialisme, contre le racisme et pour le développement de ce qu'on
appelait alors le tiers-monde. Après avoir milité contre l'Algérie
française, participé aux grandes manifestations parisiennes, notamment,
celle de Charonne en 1962, je suis parti en Afrique, à la fin de l'année
1962, avec un contrat gabonais - et non français - comme attaché de cabinet
du ministre des Finances du Gabon. J'étais et je suis resté longtemps ce
qu'on appelait un tiers-mondiste. J'ai vécu au Gabon jusqu'à la fin de
l'année 1964, où j'ai milité contre le néo-colonialisme français. Tellement
milité que j'ai été contraint de quitter le Gabon plus vite que prévu...
Depuis cette époque, j'ai maintenu des liens constants avec l'Afrique et les
Africains. J'ai dû aller pas loin d'une centaine de fois sur le continent ;
j'ai écrit plusieurs livres sur les relations entre la France et l'Afrique,
dont celui qui m'a révélé au grand public, Affaires africaines, en 1983,
mais aussi L'Argent noir, L'Homme de l'ombre, Manipulations africaines, Main
basse sur Alger...
J'ai noué et gardé des relations étroites avec de nombreux Africains. J'ai
été parrain de SOS Racisme, ai participé avec Christophe Nick à la création
de Stop La Violence... L'Afrique était tellement présente à la maison que,
dès qu'elle a fini ses études, ma fille s'est installée en Afrique. Elle y
vit toujours avec ses trois enfants. Ma femme, que j'ai connue en Afrique, a
une filleule congolaise. Ma sœur a épousé un Camerounais, est marraine d'une
petite Congolaise, et, dans la communauté africaine de Sablé, elle est
affectueusement surnommée "la maman des blacks"...
Malgré ce contexte, j'aurais donc, en 2005, à 67 ans, subitement et
brutalement envoyé toutes mes convictions par-dessus bord, et été saisi
d'une haine irraisonnée contre les Tutsis, j'aurais soudain mis toute mon
énergie à leur faire du mal... Cela n'a évidemment pas de sens. Je respecte
les Tutsis comme je respecte tous les citoyens du monde, quelle que soit
leur origine, leur couleur ou leur religion, et j'éprouve même à leur égard
une très grande compassion, en ayant toujours en tête le génocide qui les a
visés en 1994.
Au début de ce procès, et pour apprécier les phrases qui me sont reprochées
dans les pages 41 à 44 de mon livre Noires fureurs, blancs menteurs, il est
important que le Tribunal comprenne la démarche qui m'a conduit à écrire ce
livre.
Comme tout le monde, j'avais été très choqué par les images des massacres à
la machette diffusées par toutes les chaînes en avril-mai 1994, massacres
qualifiés quelques semaines plus tard de " génocide des Tutsis et des Hutus
modérés ". J'ai d'ailleurs été confronté personnellement aux conséquences
d'un des premiers meurtres qui ont suivi l'attentat contre l'avion qui
transportait les deux présidents rwandais et burundais, dans lequel a péri,
le 6 avril 1994, le président Habyarimana : l'assassinat d'Agathe
Uwilingiyimana, la Première ministre hutue en exercice. J'ai en effet
participé au sauvetage de ses cinq enfants... J'ai suivi avec étonnement les
attaques violentes contre la France quand a été décidée l'opération
Turquoise ; alors que je terminais mon livre Une jeunesse française, j'ai eu
le privilège de recevoir les confidences de François Mitterrand sur le drame
rwandais, le 1er juillet 1994, juste avant qu'il ne reçoive Yoweri Museveni,
le président de l'Ouganda ; j'ai vu pleurer dans les couloirs de l'Élysée
des responsables français de la politique africaine qui ne comprenaient pas
pourquoi la France était si violemment attaquée... Mais j'ai surtout, en
1996, reçu les confidences d'un ancien militant panafricain proche d'un des
membres FPR du Network Commando qui a monté l'attentat du 6 avril 1994
contre l'avion présidentiel. Attentat qui avait pour objectif la prise de
pouvoir par les rebelles du FPR, tutsis dans leur très grande majorité.
Attentat dont tout le monde s'accorde à dire qu'il a été le facteur
déclenchant du génocide des Tutsis et des Hutus modérés.
À partir de là, j'ai évidemment porté une attention plus grande à tout ce
qui se disait et s'écrivait sur le drame rwandais. J'ai écrit avec
Jean-François Bizot mon premier article sur ce sujet dans L'Almanach
d'Actuel de 1997. Article dans lequel était déjà dit l'essentiel, à savoir
que Paul Kagame, patron du renseignement militaire d'Ouganda, était parti
d'Ouganda à la tête d'exilés tutsis armés par ce pays pour prendre le
pouvoir à Kigali par la force, en 1994. Nous disions aussi que Paul Kagame
avait terminé sa conquête en abattant l'avion dans lequel se trouvait le
président du Rwanda, et qu'il savait pertinemment qu'en agissant ainsi il
déchaînerait la colère des Hutus contre les Tutsis du Rwanda, considérés par
eux comme des partisans des rebelles du FPR. Ce n'est pas très élégant de se
citer, mais, en la circonstance, je crois que c'est important. Dans Actuel,
nous avions notamment écrit ces quelques phrases : "Mettez-vous dans la tête
de Kagame au moment où il décide de "dessouder" les deux présidents hutus du
Rwanda et du Burundi. Il sait qu'il va précipiter le chaos, enclencher le
génocide de son propre peuple, les Tutsis. À deux ans, il a dû fuir le
premier génocide [allusion aux exactions de 1959, à l'heure de
l'indépendance, qui vit des milliers de Tutsis s'exiler]. Il ne voit pas
d'autre solution pour contraindre les Tutsis à l'insurrection. En bon
révolutionnaire, il se dit que la fin justifie les moyens. On n'écrit pas
l'histoire avec un poignard en caoutchouc..." Je dois dire que ce très long
article resta à l'époque sans échos... Personne ne le reprit, pas même pour
le contester, ni alors, ni ultérieurement.
L'année d'après, en 1998, à la suite des attaques médiatiques lancées contre
la France, relayées par quelques associations - Survie en tête - et par des
supporters acharnés du nouveau pouvoir de Kigali, une mission parlementaire
d'information a cherché à savoir si politiques et militaires français
s'étaient mal comportés au Rwanda. Le rapport Quilès, qui concluait que la
France avait peut-être commis des erreurs au Rwanda, mais qu'en aucun cas
elle n'avait été complice du génocide, ne calma ni Kigali, ni ses supporters
français qui, au contraire, ne cessèrent, après coup, d'élever le niveau de
leurs attaques. En omettant bien entendu d'évoquer la responsabilité du
Network Commando dans l'attentat du 6 avril 1994...
Dès cette époque, la version de Kigali s'était pratiquement imposée comme la
version officielle du drame rwandais. Version qui présente l'avantage d'être
simple, je dirai même simpliste. Elle réduit en effet le drame rwandais à
une confrontation entre le Mal et le Bien, les Méchants et les Bons, les
méchants Hutus et les bons Tutsis... À en croire la vulgate médiatique, et
pour faire bonne mesure, les Hutus auraient été dirigés par un " nazi
tropical ", aidé par Mitterrand-Hitler et ses Waffen-SS...
En 2000, de plus en plus exaspéré par la propagation de ces contrevérités
manifestes, je tentai de les démasquer en initiant une nouvelle enquête sur
les commanditaires de l'attentat du 6 avril, convaincu que la révélation de
l'implication de Paul Kagame lui-même dans cet attentat, et donc de sa
responsabilité personnelle dans le génocide, pouvait au moins faire
réfléchir les gens de bonne foi... Je publiai le résultat de cette enquête
dans Le Nouveau Papier journal. L'essentiel des conclusions du juge
Bruguière, qui devaient fonder ses mandats d'arrêt internationaux lancés en
décembre 2006, s'y trouvait.... Mais ce fut un nouveau coup d'épée dans
l'eau. Personne n'osa se faire l'écho des résultats de mon enquête. Les
télévisions, comme les principaux médias, continuaient d'avaliser les
mensonges du chef d'État rwandais que d'aucuns, comme le professeur belge
Reyntjens, qui témoignera devant vous, considèrent comme le " plus grand
criminel de guerre vivant ". Comme on le vit faire jadis en Union
soviétique, les médias continuèrent à donner la parole exclusivement à des "
idiots utiles ", comme on les appelait du temps des " compagnons de route ",
et à des militants déguisés en témoins. Je ne parle pas ici des récits
sincères de survivants qui perdirent toute leur famille dans les massacres,
je respecte leur souffrance et leur désir de témoigner ; comme tous les
témoins, ils détiennent, eux, un fragment de l'histoire. Mais l'histoire, si
elle les englobe, les dépasse grandement, surtout quand elle est encore en
train de se faire et que certains instrumentalisent leur souffrance.
Devant ce spectacle, mon irritation a progressivement laissé place à de la
colère : car l'installation par la force de Paul Kagame à Kigali n'a pas
étanché sa soif de pouvoir. Il a poursuivi la guerre au-delà des frontières
du Rwanda, débordant largement (et c'est peu dire) sur l'est de la
République démocratique du Congo... Les soldats du FPR, aidés des Ougandais
et protégés par les forces spéciales américaines, sous prétexte de traquer
les génocidaires vont tuer des centaines de milliers de Rwandais et de
Congolais ; ils déstabilisent le Zaïre, allant finalement jusqu'à Kinshasa
pour placer Laurent-Désiré Kabila, leur marionnette, au pouvoir en 1997. Les
crimes de masse rwandais ont été accompagnés d'un pillage massif de
richesses. L'année suivante, sous prétexte que leur marionnette n'exécute
pas leurs décisions au doigt et à l'œil, les soldats du FPR rééditent leurs
exploits militaires dans l'ex-Zaïre. Parce que Paul Kagame a réussi à
s'imposer comme le représentant des victimes du génocide rwandais, la
Communauté internationale ne réagit pas aux crimes de masse, qualifiés de
crime de génocide par un juge espagnol, commis par son ordre et sous sa
responsabilité.
Le cœur de l'Afrique saigne depuis maintenant 18 années ! J'ai, dans un
premier temps, tenté de convaincre des hommes politiques et des journalistes
de réagir, d'examiner la situation globale, de dénoncer les mensonges de
Paul Kagame...
La publication par Le Monde, en mars 2004, d'une partie de l'enquête du juge
Bruguière a paradoxalement insufflé à Kigali et à ses thuriféraires un
nouvel élan de combativité pour propager leur version mensongère de
l'histoire du drame rwandais, pour accuser et insulter la France, ses
personnels politiques et militaires.. . Je décidai donc de me battre à
nouveau contre cette désinformation. Et la seule arme que je connaisse,
c'est l'enquête. Une enquête approfondie, rapportée dans un livre de 544
pages, qui permette de faire un bout de chemin vers la vérité. Enquête qui
visait à exposer comment la réécriture de l'histoire s'était faite,
dédouanant de ses responsabilité s Paul Kagame dans l'attentat du 6 avril
1994. Car le facteur déclenchant du génocide, je le répète, a bel et bien
été cet attentat, et ce point de vue est désormais partagé par de nombreux
autres connaisseurs de ce dossier.
Je mène des enquêtes depuis bientôt 40 ans et me suis spécialisé dans les
enquêtes sensibles depuis une trentaine d'années. Pour approcher le drame
rwandais, j'ai utilisé les mêmes méthodes que d'habitude, interrogeant
beaucoup de monde, mais privilégiant au maximum les sources écrites.
Toutefois, j'ai décidé de ne pas me rendre au Rwanda, car j'estimais
qu'interroger des témoins sous une dictature sanguinaire qui laisse croupir
des dizaines de milliers de gens en prison, qui a installé partout des
tribunaux populaires, et élimine qui bon lui semble, n'avait aucun sens. La
qualification de " dictature sanguinaire " ne relève pas ici d'une
provocation : ce diagnostic a été porté par de nombreux observateurs et ONG,
mais aussi et surtout par la justice espagnole, agissant à la suite d'une
plainte du Forum international pour la vérité et la justice en Afrique des
Grands Lacs présidé par Juan Carrero, pour l'assassinat de neuf Espagnols au
Rwanda et en RDC (deux missionnaires, quatre frères maristes et trois
membres de Médecins du Monde Espagne).
Je crois en effet qu'il est important pour la clarté des débats qui vont
suivre d'avoir constamment à l'esprit la nature du régime dirigé par Paul
Kagame. Et je me limiterai pour l'instant à vous lire le début de
l'ordonnance espagnole qui a abouti en février dernier au lancement de 40
mandats d'arrêt contre l'appareil politico-militaire du pouvoir en place à
Kigali :
"À ce jour se détachent des indices rationnels et fondés selon lesquels, à
partir du mois d'octobre 1990, un groupe politico-militaire fortement armé
et organisé a déclenché une série d'actions à caractère criminel sur le
territoire rwandais à partir de l'Ouganda.
"Au cours des quatre premières années, on a assisté à différentes actions
organisées et systématiques dont le but était l'élimination de la population
civile, tant par l'ouverture d'hostilités belliqueuses contre l'armée
rwandaise que par la perpétration d'actes terroristes d'amplitude et
d'intensité diverses, exécutés sur le territoire rwandais, principalement
dans les zones septentrionale et centrale, toute cette action étant déployée
sous un commandement stable et structuré, sur les plans tant stratégique
qu'organisationnel.
"Une fois le pouvoir arraché par la violence, [ce groupe] a instauré avec
les mêmes méthodes un régime de terreur et une structure criminelle
parallèle à l'état de droit, ayant pour fin planifiée et préméditée la
séquestration, le viol de femmes et de fillettes, la perpétration d'actes
terroristes (parfois conduits dans le but de simuler qu'ils avaient été
commis par leurs ennemis), l'incarcération de milliers de citoyens sans la
moindre instruction judiciaire, l'assassinat sélectif de personnes, la
destruction et l'élimination systématique des cadavres par leur entassement
dans des fosses communes sans identification aucune, l'incinération massive
des corps ou leur précipitation dans les lacs et rivières, ainsi que les
attaques non sélectives contre la population civile sur la base d'une
présélection ethnique, dans le but d'éliminer l'ethnie majoritaire, et
incluant aussi la commission d'actes à caractère belliqueux tant au Rwanda
que dans le pays voisin, le Zaïre (actuellement République Démocratique du
Congo), y perpétrant des massacres indiscriminés et systématiques de la
population réfugiée, ainsi que des actes de pillage sur grande échelle dans
le but de pourvoir à l'autofinancement de ces activités criminelles en sus
de l'enrichissement illicite des responsables."
Le régime de Kigali a depuis longtemps compris l'importance de la
"communication" pour sa survie et sait en tirer les ficelles. A-t-on naguère
approché la réalité soviétique par des enquêtes menées en URSS, en
interrogeant telles ou telles personnes au vu et au su des autorités ?
Évidemment pas. Ce sont les défecteurs et les dissidents qui ont réussi à
lever le voile sur la vraie nature du régime stalinien. Mais il existe
suffisamment d'exilés chassés du Rwanda, y compris d'anciens proches de
Kagame, pour contourner cette difficulté...
Après avoir approfondi ce que je savais déjà de l'attentat du 6 avril 1994,
je me suis plongé dans une imposante masse de matériaux que j'ai pu réunir
sur le drame rwandais : notamment le rapport Quilès, des documents de
l'Élysée, la revue de presse et, plus surprenant, de très nombreux documents
rédigés par des Hutus mais qui, depuis 1994, sont littéralement frappés
d'interdit pour le simple motif qu'ils sont Hutus, donc supposés tous et
comme génétiquement génocidaires.
Assez rapidement, j'ai éprouvé une bizarre sensation que je n'avais jamais
ressentie dans mes enquêtes précédentes. Et Dieu sait que j'ai souvent
approché des gens peu recommandables, pénétré dans des univers glauques, été
à de multiples reprises confronté à la désinformation et aux mensonges...
Là, j'ai été frappé par l'aspect systématique, je dirais presque industriel
des trucages, des faux témoignages, qui servaient à créer de toutes pièces
ce qui devait apparaître à presque tous comme des vérités. Frappé par les
manipulations de l'histoire opérées par les vainqueurs et par le
détournement de certains mots comme celui de "victimes", qui ne peuvent être
que tutsies. Même le TPIR ne me semblait pas au-dessus de tout soupçon,
puisqu'il refusait de poursuivre les responsables des massacres commis par
le FPR. Comme l'a écrit Montaigne, le mensonge n'a pas, comme la vérité, un
seul visage. "Car nous prendrions pour certain l'opposé de ce que dirait le
menteur. Mais le revers de la vérité a cent mille figures, et un champ
indéfini", écrit-il.
Mon livre se devait de scruter les mensonges rwandais et de démasquer les
menteurs qui entendaient imposer au monde une version falsifiée de
l'Histoire. Noires fureurs, blancs menteurs est d'abord un livre sur les
mensonges du pouvoir en place à Kigali.
Comme je l'ai écrit à la page 44 de mon livre, "les militaires utilisent
souvent des leurres - avions, tanks, camions en carton ou en bois - pour que
l'ennemi croie à une attaque imminente, ou gaspille ses munitions sur de
fausses cibles... Les rebelles tutsis ont fait beaucoup mieux. Ils ont
réussi jusqu'à présent à falsifier complètement la réalité rwandaise en
imputant à d'autres leurs propres crimes et actes de terrorisme, et en
diabolisant leurs ennemis. Enquêter sur le Rwanda relève du pari impossible,
tant le mensonge et la dissimulation ont été élevés par les vainqueurs au
rang des arts majeurs. (Cette phrase, qui figure dans la plainte de SOS
Racisme, je l'assume comme toutes les autres.) Ce qu'on y voit n'a rien de
commun avec la réalité, mais avec les faux-semblants créés par Paul Kagame
et ses stratèges. Les masques sont partout. Kagame et ses collaborateurs
tutsis ont jusqu'à présent réussi à ce que l'opinion publique internationale
prenne des vessies pour des lanternes..."
Face à un tel constat, dressé au terme de plusieurs mois d'enquête, j'ai
éprouvé le besoin d'aller au-delà de l'enchaînement des faits décrivant la
guerre déclenchée en octobre 1990, date à laquelle les rebelles tutsis
pénétrèrent au Rwanda. La sophistication de la guerre de désinformation
menée par le FPR m'a obligé à tenter de mieux comprendre l'histoire et la
culture du Rwanda. Au-delà de la lecture de quelques livres, j'ai ainsi
rencontré Antoine Nyetera. Tutsi, descendant du roi Kigeri III, il a une
excellente connaissance de l'histoire rwandaise et de ses principaux
acteurs. Il est considéré comme un "observateur impartial des événements,
mieux placé qu'aucun autre témoin pour clarifier certains problèmes qu'un
expert étranger ne peut appréhender", dis-je pour reprendre un document
émanent du TPIR. Il a témoigné à plusieurs reprises devant de prestigieuses
assemblées, notamment devant le Parlement européen. Le Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR) a fait appel à lui : il s'est rendu à
Arusha en février, juillet 2002 et septembre 2006. Son témoignage était
intitulé Le Mythe tutsi et son influence sur la culture du mensonge et de la
violence au Rwanda.
Abordant ce chapitre, j'ai voulu replacer la désinformation, utilisée comme
une arme de guerre par le FPR pour masquer sa stratégie de conquête
militaire du pouvoir entre 1990 et 1994, dans la longue histoire rwandaise
marquée par l'usage de ce que j'ai appelé le "mensonge", qui porte un nom
spécifique en kinyarwanda : l'ubengwe...
Les passages qui me sont reprochés figurent dans un premier chapitre qui ne
fait que poser des jalons, " rudiments d'histoire et de géographie ", ai-je
écrit (pour bien préciser que je n'ai pas la prétention de faire œuvre
d'historien, mais qu'il faut bien fournir au lecteur français de quoi se
faire une idée de l'histoire du pays) ; il était aussi indispensable
d'adjoindre une " brève " présentation des spécificités de la société
rwandaise, notamment de cette " culture du mensonge " qui est une manière de
civilité très particulière, qui n'a d'ailleurs rien d'extraordinaire et est
connue de longue date. Je crois n'avoir pas procéder différemment des
spécialistes du terrorisme proche- et moyen-oriental qui, avant d'exposer
leurs analyses, évoquent la " takya " qui est pratiquée dans ces régions :
un droit de mentir pour défendre ses convictions.
L'existence d'une "culture du mensonge" au Rwanda, qui choque tant le
président de SOS Racisme, est une évidence non seulement pour Antoine
Nyetera, mais pour tous les Rwandais, un fait culturel indéniable que
plusieurs scientifiques se sont attachés à étudier. Il s'agit, je l'ai dit,
de l'ubgenge ou ubwenge, puisque la langue rwandaise possède ce terme
spécifique pour le nommer. En langue française, aucun mot ne saurait le
restituer parfaitement : on peut le traduire approximativement par mensonge,
ruse, dissimulation, réserve, etc. Des témoins vous parleront mieux que moi
de l'ubwenge. Je me limiterai ici à citer le professeur Pierre Erny qui,
dans une étude publiée dans le numéro 40 des Cahiers de sociologie
économique et culturelle (INIST/CNRS) , en 2003, intitulée Ubgenge :
intelligence et ruse à la manière Rwanda et Rundi. Il écrit : "Dans une
société où "la vérité n'est pas un élément dominant dans l'échelle des
valeurs", où non seulement tout le monde est susceptible de dissimuler la
vérité, mais où le "mensonge" est classé parmi les beaux-arts et les jeux de
l'esprit parmi les plus excitants, personne n'est dupe, tout le monde sait à
quoi s'en tenir, et comment adapter sa conduite. Autrement dit, seuls ceux
du dehors se font avoir."
Je ne dis rien d'autre. Mais, dans le cas du Rwanda, malheur à ceux qui
contestent le moins du monde la version officielle. Il ne fait d'ailleurs
pas bon, aujourd'hui, mettre en doute les versions officielles. Et comme il
s'agit ici d'un génocide, voire d'un double génocide, on se complaît à
ramener tous ces types de massacres à un seul, celui de la destruction des
Juifs d'Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. J'étais bien conscient de
ce piège. J'ai écrit page 22 de mon livre : "Pour rendre leur thèse
inexpugnable, les défenseurs inconditionnels de Kagame ont déployé un "plan
com" redoutable : assimiler ceux qui contestaient leurs thèses aux
révisionnistes qui nient la réalité des chambres à gaz ou le nombre des
victimes de la Shoah. Pour disqualifier ceux qui doutent de la moralité de
l'actuel Président rwandais, le président de Survie n'a pas hésité à parler
de "négrophobie".
"Ainsi s'est peu à peu développé un redoutable usage rhétorique du
vocabulaire et du corpus d'analyses engendrés par la Shoah. En somme,
puisqu'il y a eu génocide au Rwanda, il y avait forcément des nazis, des
tortionnaires. .. et, dans la foulée, un lot de révisionnistes. Quiconque
émettait quelques doutes sur la vision "kagamiste" des événements s'exposait
à être à son tour rangé dans le camp des néo-faurissoniens."
C'est ce qui m'arrive, mais je dois dire que je ne suis pas seul dans ce cas
; y figurent aussi des gens éminemment respectables. Je pense notamment au
journaliste Stephen Smith, qui témoignera jeudi devant vous, mais aussi au
juge Bruguière qui, après avoir lancé ses mandats d'arrêt contre l'entourage
de Paul Kagame, a été traité à Kigali de révisionniste, et même de
négationniste ; mais aussi le juge espagnol Merelles qui, après avoir lancé
40 mandats d'arrêt contre les principaux collaborateurs de Kagame, essuie à
son tour les mêmes accusations et calomnies. Les deux juges font d'ailleurs
l'objet d'attaques en justice intentées par le pouvoir de Kigali...
Je me suis longtemps demandé pourquoi le président de SOS Racisme
intervenait dans ce débat aux côtés de François-Xavier Ngarambe qui, en tant
que président d'Ibuka, a été chargé, début 2006, par le pouvoir de Kigali,
d'engager des poursuites judiciaires contre moi. Pourquoi, lors de la
conférence de presse annonçant en octobre 2006 la plainte déposée contre moi
et mon éditeur, il parla d'"escroquerie manifeste" à propos de mon livre et
laissa l'avocat Bernard Maingain parler à mon propos de "retour à la
fascination d'un certain pétainisme".
Au printemps dernier, en lisant le livre intitulé Rwanda. Pour un dialogue
des mémoires, publié en avril 2007 par les éditions Albin Michel et l'Union
des Étudiants Juifs de France avec une préface de Bernard Kouchner, j'ai
enfin compris. Dans cet ouvrage qui a été écrit par "des enfants de déportés
juifs et des descendants d'esclaves noirs", pour reprendre la formule de
Bernard Kouchner, après un voyage d'une semaine au Rwanda, en février 2006,
qui leur permit de rencontrer des rescapés du génocide, Dominique Sopo, en
tant que "descendant d'esclave noir", développe sa propre vision du drame
rwandais. Sa contribution m'a permis de constater qu'il reprenait sans
nuances la version officielle de la dictature en place à Kigali en
l'intégrant à sa propre vision de l'histoire du monde, et qu'il n'hésite pas
à son tour à assimiler le génocide des Tutsis et des Hutus modérés à la
Shoah...
Pour Dominique Sopo, ce qui s'est passé au Rwanda n'est que le produit du
racisme et du colonialisme occidentaux. Le génocide rwandais est, selon lui,
le "dernier maillon d'une longue chaîne" (page 58)
qu'il décrit comme prenant sa source dans la philosophie grecque, dans
laquelle il voit les prémisses du racisme : "En identifiant le beau et le
bien, n'incitait-elle pas à chercher les signes du mal dans l'aspect
physique ?" (page 58) Ce qui n'empêche pas
Sopo d'utiliser lui aussi les mêmes critères manichéens pour analyser le
monde et l'histoire : d'un côté les bons, de l'autre les méchants.
Souscrivant à cette dialectique primaire, il présente l'Afrique comme un
paradis perdu depuis l'arrivée des Blancs... Le drame rwandais n'échappe
pas, sous sa plume, à cette analyse rudimentaire.
Reprenant la thèse de l'école burundo-franç aise animée par Jean-Pierre
Chrétien, Dominique Sopo explique que c'est l'administration coloniale du
Rwanda (allemande, puis belge, je me permets de le rappeler) qui transforma
deux catégories sociales, les éleveurs et les paysans, en deux races
distinctes, les Tutsis et les Hutus. Le président de SOS Racisme ajoute une
touche personnelle à la diabolisation des Hutus en en parlant comme " 'une
race par ailleurs colonisatrice" (page 61). (Comment Sopo peut-il parler de
race alors que les Hutus n'étaient - selon lui - qu'une catégorie sociale
avant l'arrivée des colons ? Ce gros mot lui aura probablement échappé !) Si
les Hutus sont ce qu'ils sont, c'est-à-dire des génocidaires, c'est, selon
le président de SOS Racisme, parce qu'ils ont intégrés "La vision coloniale
de la société rwandaise" (page 62). Autrement dit, si les Hutus sont
apparemment noirs, ils sont en réalité Blancs à l'intérieur, donc mauvais.
Du texte de Dominique Sopo il ressort que les Tutsis, eux, n'ont pas intégré
la " vision coloniale ", qu'ils ont perdu le pouvoir parce qu'ils avaient
des "prétentions indépendantistes", et qu'ils sont donc restés, eux,
authentiquement noirs.
À partir de là, Dominique Sopo construit toute une histoire dans laquelle
les Hutus sont décrits comme des nazis portant en eux l'idéologie
génocidaire qui ne pouvait que déboucher sur le drame de 1994. Il fait du
Manifeste des Bahutu, publié en 1957 par des intellectuels hutus qui
réclamaient le partage des terres et la participation des Hutus à
l'administration territoriale alors entre les mains des Tutsis, le Mein
Kampf du Rwanda : "Ce manifeste, écrit Dominique Sopo, jetait les bases
idéologiques à venir" (pages 62 et 63). Le président de SOS Racisme impute
in fine la responsabilité historique du génocide rwandais aux Blancs pour
avoir imprégné les Hutus de leur vision coloniale de la société rwandaise.
Dans la même logique, il explique que les Tutsis " membres d'une catégorie
sociale " et " résidents multiséculaires du Rwanda", se trouvèrent "racialisés"
par les colons, et par là "extériorisés". Je le cite : "On finira d'ailleurs
par les surnommer les "Juifs d'Afrique", ce qui, chacun en conviendra,
n'était pas de très bon augure" (page 61).
Avant d'écrire une telle phrase, le militant antiraciste qu'il est aurait dû
travailler un peu plus son dossier. Le travailler, en tout cas, au-delà de
la semaine qu'il passa au Rwanda en février 2006, où il n'écouta que la
version fabriquée par les Tutsis ultras, à la tête de la dictature installée
à Kigali. Il aurait ainsi découvert que l'expression "Juifs d'Afrique" fut
utilisée à dessein par les Tutsis eux-mêmes dans leur propagande. Ainsi,
c'est le journal Impuruza[1] qui en use pour la première fois en 1983 : "Une
nation en exil, un peuple sans leadership, les "Juifs d'Afrique", une nation
sans Etat, toutes ces expressions pourraient faire des titres merveilleux
pour décrire la saga de notre peuple..." Plus prosaïquement, il aurait suffi
à Dominique Sopo de rencontrer des Rwandais n'appartenant pas au FPR et ne
résidant pas actuellement au Rwanda pour se rendre compte que sa vision du
Rwanda est totalement idéologique, que si les Tutsis et les Hutus se sentent
différents, leurs différences ne sont pas de nature économique, mais
ethnique, parce que les premiers ont dominé les seconds jusqu'à la fin des
années 1950 : c'est cette réalité que l'administration coloniale a jadis
prise en compte et cristallisée. Des historiens du Rwanda et des Rwandais
vous exposeront à ce propos une vision toute différente de celle de Sopo.
Dans son texte, et malgré une critique liminaire formelle de l'assimilation
des Tutsis aux Juifs, Sopo revient constamment sur la similitude de destin
des Juifs et des Tutsis, et par contrecoup des Hutus avec les nazis. Le
président de SOS Racisme semble méconnaître que confondre la Shoah et le
génocide des Tutsis est une aberration historique et, de surcroît, à
certains égards, une insulte à la mémoire des victimes et au sort des
rescapés de la Shoah ; elle confine même à l'antisémitisme : en 1933 comme
en 1939, ce n'est assurément pas une bande de Juifs qui prit les armes pour
agresser l'Allemagne à ses frontières. Qui oserait soutenir pareille
imbécillité ? Or, ce sont bien des Tutsis ultras du FPR qui
presqu'exclusivement prirent les armes contre le pouvoir dit " des Hutus ".
Et ce sont ces mêmes Tutsis qui gagnèrent la guerre civile et prirent le
pouvoir...
En quelques pages, Dominique Sopo résume parfaitement une version de
l'histoire que je conteste radicalement dans mon livre. L'histoire qu'il
rapporte est celle, officielle, fabriquée et diffusée par Kigali, et relayée
par ceux que j'ai appelés les "blancs menteurs".
Enfermé dogmatiquement dans sa théorisation personnelle du racisme,
Dominique Sopo, fort peu avare de procès d'intention, fait de ceux - hommes
politiques, militaires, intellectuels et journalistes français - qui ne
pensent pas comme lui, et qui, comme moi, parle de "double génocide", des
"complices des génocides en cours et de ceux qui adviendront dans le futur"
(page 71).
Le président de SOS Racisme a certes le droit de penser ce qu'il veut sur le
drame rwandais, de penser selon une dialectique intégriste du Bien et du Mal
comme ressort de l'Histoire, mais je lui conteste absolument celui de
m'accuser de racisme sous prétexte que je ne pense pas comme lui. Dans mon
livre, je n'ai cherché qu'à tenter d'approcher la vérité.
Votre jugement répondra à la question posée par Hervé Deguine, de Reporters
Sans Frontières, dans un article publié dans Médias : "Peut-on encore écrire
librement sur le Rwanda ?"
J'ai confiance que la Justice de mon pays me lavera de la terrible
accusation que SOS Racisme, hors de toute légitimité et de toute vérité,
fait peser sur moi.
Note :
______________________
[1] Impuruza a été le premier journal de la diaspora rwandaise. Fondé par
Alexandre Kamenyi aux Etats-Unis, le choix du titre indiquait bien l'esprit
de reconquête par la force du pouvoir perdu. Impuruza désigne un tambour
traditionnel utilisé avant la colonisation par les Tutsi pour les appeler à
la guerre.