(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Les universités ne forment pas les étudiants qui y perdent leur temps, révèle un rapport des parlementaires rwandais qui met notamment en cause les trop nombreuses réformes de l'éducation, en particulier le passage brutal à l'anglais comme langue d'enseignement.
Les parlementaires tirent la sonnette d'alarme. Leur récent
rapport de plus de 270 pages sur l'efficacité et la qualité de l'enseignement
supérieur au Rwanda révèle que les universités constituent "une énorme perte
de temps et non un apprentissage" . Les députés pointent, parmi tant d'autres
causes, les réformes incessantes qui déstabilisent enseignants et élèves.
Ainsi, depuis 2009, au Rwanda, l'enseignement est passé du français à
l’anglais exclusivement, du primaire à l’université. Aussitôt pensée, la
réforme scolaire a été mise en application.
Ce changement majeur dans l'enseignement au Rwanda s’inscrit dans une longue
série de réformes scolaires dont plusieurs ont eu des effets pervers. En 1979,
le kinyarwanda, langue maternelle, avait été adopté comme langue
d'enseignement et l'on a étendu l’école primaire sur 8 ans. Après le génocide
de 1994 et le retour des Rwandais des différents pays où ils s'étaient
réfugiés, le bilinguisme a été instauré dans l’enseignement supérieur, pour
faciliter le travail aux étudiants qui avaient évolué essentiellement en
anglais. Aujourd'hui, les lauréats des écoles ne savent bien ni le français ni
l'anglais.
Ainsi, "les étudiants et les profs des universités ne savent pas quoi donner,
quoi prendre, ou laisser", note, fin mars dernier, un membre de la commission
parlementaire qui a inspecté les 26 institutions d'enseignement supérieur du
pays. "Les anciens profs, habitués à donner leurs cours en français, ont été
contraints de le faire en anglais, alors que le peu de matériel didactique est
en français", révèle le rapport.
Les enseignants défaillants
Ainsi, pour ne pas se faire blâmer ou perdre leur emploi, les plus malins
"font traduire automatiquement leurs cours à l'aide des logiciels d'internet
et les donnent aux élèves qui n'ont qu'à se débrouiller pour comprendre",
lit-on dans ce document. "Avec le lancement brutal de cette réforme, nombre
d’enseignants se sentent coupables de ne rien donner aux enfants, car on ne
donne que ce qu’on a", regrette un enseignant expérimenté de Kicukiro. Il
arrive que les élèves passent une semaine sans rien apprendre. Nous qui
n’avons pas appris l’anglais pendant notre formation, il nous est difficile de
le faire au travail." Sans livres ni documents adaptés, les professeurs se
débrouillent comme ils peuvent pour enseigner un semblant d'anglais. "Certains
enseignent dans un mélange de bribes d'anglais, de français et de kinyarwanda,
ce qui fait que les étudiants ne maîtrisent aucune langue, encore moins la
matière", constate un pédagogue de Kigali.
Outre la médiocre qualité de l'enseignement, la commission parlementaire a
aussi constaté dans les universités un sévère manque d'équipement pédagogique.
Selon les députés, bon nombre de leçons pratiques ne le sont pas. Ainsi, à
l'université nationale de Butare, seuls les finalistes ont droit d'aller au
laboratoire de biologie. La faculté de médecine utilise des équipements
dépassés. Cette université compte plus de 10 000 étudiants, mais ne dispose
que de 15 000 livres et… 54 ordinateurs. Quant à l'École des finances et des
banques, ses 3 800 élèves se contentent d'une bibliothèque destinée à 60
personnes. "C'est une honte pour un gouvernement qui a fait de l'éducation son
cheval de bataille. Un pays qui n'a pas d'autres ressources doit renforcer son
système éducatif", estime un habitant de Kigali. C'est pourquoi les
législateurs interpellent le gouvernement. "Le ministre de l'Éducation doit
montrer des mesures pratiques prises par le gouvernement pour sortir de cette
impasse", dit un député très en colère. De nombreux Rwandais qui veulent
poursuivre leurs études dans la langue de leur formation font l'université en
RDC, surtout les employés qui y vont les week-ends.
Fabriques à chômeurs
Cependant, les institutions d'enseignement supérieur ne cessent de mettre des
diplômés sur le marché du travail. Chaque année, 1 500 lauréats sortent ainsi
en moyenne de l'Université libre de Kigali (ULK). Depuis 2002, plus de 9 400
candidats ont eu leurs diplômes de licence.
Pourtant, d'après le rapport des parlementaires, seuls 190, soit 18 % des 1
000 candidats à l'embauche testés, en 2008, par la Commission nationale de la
fonction publique, ont réussi l'épreuve. L'année suivante, ils étaient 23 %
sur 600. "Des milliers sont toujours chômeurs, certains d'entre eux attendent
de décrocher l'emploi par népotisme alors qu'ils n'ont aucune capacité
intellectuelle, se plaint un parlementaire. Et il n y a plus moyen de faire
comprendre aux parents l'importance d'envoyer les enfants à l'université qui
devient une énorme perte de temps".
Pour ce consultant en matière de travail, "les employeurs ne devraient pas
continuer à poser parmi les conditions d'embauche le diplôme universitaire.
Ils devraient recruter tous ceux qui sont capables de réussir les tests, car
les universités ne forment plus".