Un
soutien inconditionnel à Kigali pose problème
A
l’approche d’échéances électorales au Rwanda, il n’est pas inutile de
s’interroger sur l’opportunité d’y apporter quelque appui, notamment
financier. Nous n’irons pas par quatre chemins: le référendum
constitutionnel, et les scrutins législatif et présidentiel à venir sont,
dans les circonstances actuelles, inutiles voire même dangereux. Nous
souhaitons, par cette prise de position publique, inciter la Commission européenne
et les autres bailleurs, dont notre gouvernement, à regarder la réalité en
face. Depuis trop longtemps, nombre d’universitaires, journalistes et ONG de
toutes obédiences expriment leur inquiétude à propos du Rwanda et dressent un
constat alarmant. Et pour cause: chaque velléité contestataire dans ce pays
est immanquablement étouffée par le FPR (Front patriotique rwandais), le
tout-puissant parti du général-major Paul Kagame, au pouvoir depuis bientôt
dix ans.
Il
faut souligner, dans le chef de ce dernier, la contradiction flagrante, entre,
d’une part, un discours prêchant la démocratisation et la réconciliation
nationale et, d’autre part, des actes montrant à l’envi que sa louable rhétorique
n’est que poudre aux yeux dans un Etat destructeur de toute opposition
politique, réfractaire à toute critique et obnubilé par un strict contrôle
de sa population.
Depuis
qu’il a accédé au pouvoir, son régime n’a cessé de se durcir, particulièrement
les dernières années. Aujourd’hui, l’instabilité politique ainsi que
celle au sein de l’armée est de plus en plus manifeste, et la répression
atteint son paroxysme. Les partis politiques présents au Rwanda assurent au régime
une vitrine démocratique, alors que le FPR concentre le pouvoir à tous les
niveaux et veille à écarter tout concurrent potentiel pour le plébiscite en
préparation. C’est ainsi que les journalistes qui osent sortir du cadre qui
leur est assigné sont constamment harcelés et vivent dans la peur quotidienne
de représailles. C’est encore ce qui confine l’opposition politique dans la
clandestinité ou l’exil. C’est également pour cette raison que des
dizaines de personnalités dont le régime redoute l’opposition ont été forcées
de se taire, quand elles ne sont pas tout simplement emprisonnées ou portées
disparues. Toute autre explication relève de la propagande du régime ou de la
mauvaise foi de celui qui la véhicule.
Dans
ce contexte, un soutien inconditionnel à l’agenda de Kigali pose question. En
effet, quelle valeur aura un tel processus dans un pays où toute voix
dissidente est systématiquement réduite au silence? A quoi servira-t-il sinon
à encourager l’omnipotence du FPR et, au sein de celui-ci, du général-major
Kagame?
Quelle
attitude faut-il dès lors adopter? Le mot d’ordre doit d’abord être celui
d’un rétablissement immédiat des droits d’association et d’_expression,
tandis que la libération de tous les prisonniers politiques ne doit souffrir
aucun délai.
Ensuite,
il n’est plus tenable de maintenir l’opposition extérieure en marge du
processus. Elle doit être soutenue de façon urgente, par tous les moyens,
avant que les tenants d’une solution militaire ne prennent le dessus. En
excluant bien évidemment ceux dont l’idéologie raciste a conduit au génocide
des Tutsis en 1994, l’opposition politique rwandaise est aujourd’hui regroupée
dans une plate-forme représentative des différentes tendances et communautés.
Cette classe politique fourmille d’hommes et de femmes responsables et prêts
à se rendre au Rwanda pour engager le débat. L’Union européenne, si elle en
a la volonté, possède l’autorité pour imposer la voie d’une ouverture
politique au Rwanda. La Belgique et d’autres Etats membres peuvent influer en
ce sens et donner à l’opposition démocratique le poids qu’elle mérite.
Enfin,
il faut sans cesse rappeler au général-major Kagame que ceux qui, au sein de
son régime, ont commis des crimes répondront tôt ou tard de leurs agissements
devant la justice.
Certes,
celui-ci n’envoie pas seulement des signaux négatifs. Le récent contact noué
à Bruxelles entre l’opposition et l’ambassade du Rwanda est un geste
positif. En octobre dernier, le retrait de troupes du Congo, quoique partiel, en
avait été un autre. Mais, plus que le résultat d’une volonté réelle
d’ouverture, ils sont surtout le reflet de notre seule certitude: l’unique
contre-pouvoir au Rwanda est celui de la communauté internationale.
Puisse-t-elle ne pas l’oublier.
(Tribune
libre parue dans Le Soir, éditions du week-end du 27 au 29/06/2003)
Bernard
LELOUP
Politologue, chercheur au Centre d’Etude de la Région des Grands Lacs d’Afrique (Université d’Anvers