Les
grands connaisseurs de
l'Afrique centrale et de ce
qui s'y joue pour l'équilibre
du monde sont rares. Colette
Braeckman est de ceux-là,
et son nouveau livre (1)
jette une lumière crue sur
la tragédie qui s'y déroule
sous nos yeux.
Les
acteurs de ce drame y sont,
pour certains d'être eux,
présents depuis longtemps,
d'autres sont apparus récemment
à la faveur des
retournements d'alliance,
des assassinats, des interférences
entre visées à longue portée
et intérêts à court
terme, le tout contribuant
à brouiller l'analyse. A la
lecture de ce livre, où se
mêlent observation directe,
témoignages bouleversants
et interprétation lucide
des faits, l'écheveau se dénoue.
Mais le monde, occupé par
d'autres drames, se détourne
du tourbillon des Grands
Lacs. Tout se passe, écrit
Colette Braeckman, « comme
si le souvenir du génocide
au Rwanda
en 1994 éclipsait désormais
toute autre image de
l'Afrique centrale, comme si
l'histoire s'était arrêtée
sur ce plan fixe, au summum
de l'horreur ».
Et
pourtant... La prise du
pouvoir, au Rwanda,
par une équipe préoccupée
tant par la sécurité du
pays que par l'extension
territoriale vers le Kivu
congolais ne doit rien au
hasard. A la faveur des
soubresauts suscités par le
génocide rwandais, se sont
fait jour aussi bien les appétits
immédiats des « voisins »
du Congo - le Rwanda,
l'Angola, le Zimbabwe,
l'Ouganda, et même la
Namibie ou l'Afrique du Sud
- que la stratégie à long
terme des Etats-Unis et de
leurs « fondés de
pouvoir » : le
Fonds monétaire
international (FMI) et la
Banque mondiale.
Premier
obstacle à faire sauter :
Laurent-Désiré Kabila.
utilisé en 1997 pour
renverser le maréchal
Mobutu et cautionner le dépeçage
du Congo, il déçoit
cruellement les
commanditaires du plan par
sa détermination à s'émanciper
de ceux qui l'avaient porté
au pouvoir. Il convient donc
de l'éliminer, et son
assassinat, en janvier 2001,
fut organisé par des hommes
de main aux ordres des
voisins déçus, avec la
bienveillance des Etats-Unis
et la complicité d'une
myriade de groupes mafieux :
libanais auxquels Kabila
avait retiré le monopole du
diamant, ex-mobutistes
nostalgiques, angolais,
katangais, etc.
Sitôt
le père disparu, les prédateurs
font le siège du fils,
notamment les Zimbabwéens
et les Angolais, qui font
bloc autour du jeune Joseph
Kabila, immédiatement adoubé
par Washington. C'est alors
que, les observateurs extérieurs
revenant dans le pays,
chacun peut mesurer
l'immensité du désastre
humanitaire qui a accompagné
tous ces bouleversements.
Deux à trois millions de
morts ? qui le saura
jamais ? Des parties
entières du pays ont été
livrées au pillage systématique
des armées étrangères et
de leurs supplétifs locaux,
des pans entiers de l'économie
ont été démantelés.
C'est une nation entière
qui s'est trouvée - qui se
trouve toujours - mise à
sac par ce que Colette
Braeckman appelle par
antiphrase « une
crise de basse intensité »,
c'est-à-dire,
ajoute-t-elle, « de
basse publicité ».
Ni pétitionnaires, ni
images atroces, rien, le
silence, mais celui des
cimetières, ces cimetières
remplis de cercueils
confectionnés à l'aide des
bancs des écoles, car, dans
ce pays, « les
morts sont mieux traités
que les vivants ».
Ecrasante
apparaît ici la
responsabilité du Rwanda,
qui, au nom de sa sécurité,
au nom même du génocide
dont il fut victime, a été
jusqu'à occuper les zones névralgiques
du Congo pour faire main
basse sur le diamant et le
coltan, mortel « or
gris » nécessaire aux
technologies modernes.
Ecrasante, la responsabilité
de l'Ouganda, à la
recherche de nouvelles
ressources. Ecrasante, celle
des Etats-Unis, animés
d'une mission à long terme,
à la fois géostratégique
et économique - les réserves
pétrolières de la région.
Ecrasante, celle des
multinationales, guidées
par la recherche de nouveaux
horizons, et celle des
institutions financières
internationales, supplétives
des intérêts nord-américains.
Ecrasante, enfin, la
responsabilité du monde des
puissants, pour qui le Congo
n'est plus qu'un champ de
bataille parmi d'autres,
alors qu'il apparaît
clairement comme tout autre
chose : un baril de
poudre.