Le déroulement de la guerre qui a secoué le Rwanda peut se subdiviser en plusieurs phases:
- la première phase date d'octobre 1990. Pendant cette phase, le Front Patriotique Rwandais (FPR - organisation militaire formée essentiellement par les tutsi en exil) soutenu par d’autres forces diaboliques dont la NRA (National Resistance Army - armée ougandaise) pensait mener une guerre éclaire. En même temps, il mena une propagande de sensibilisation de la population rwandaise à l'intérieur du pays à ses idéaux. Cette propagande fut un échec. C'est justement suite à cet échec de sensibilisation que les massacres des civils hutu innocents ont commencé. Tous ceux qui n'épousaient pas son idéologie étaient coupables. La phase se solda par un échec du FPR sur le front militaire. Cette attaque, qui coïncida avec le début de la démocratisation du pays, fut l'occasion pour le régime Habyarimana de se débarrasser des alliés du FPR. C'est ainsi que par exemple certains Bagogwe - tutsi considérés comme congénères du FPR, furent sauvagement maltraités. De même, certains hutu qui se réclamaient de la mouvance de l'opposition démocratique reçurent le même sort.
- la seconde phase date de février 1993 où le FPR a changé de tactique militaire par des bombardements massifs au catiousha ainsi que par l'assassinat des personnalités politiques rwandaises (Gapyisi Emmanuel, Rwambuka, Gatabazi) *. C'est pendant cette période que commença la vraie destruction du pays (bombardements des centrales hydroélectriques, etc.). Les massacres des populations civiles hutu s'intensifièrent. Suite à ces massacres commis par le FPR, il y eut un mouvement massif des déplacés de guerre dans les préfectures de Byumba et de Ruhengeri vers l'intérieur du pays (plus de 500.000). Ces déplacés arrivèrent aux portes de la capitale - Kigali (camp des déplacés de Nyacyonga).
- la troisième phase: c'est à partir du 6 avril 1994. La mort des présidents rwandais et burundais HABYARIMANA et NTARYAMIRA fut le détonateur des massacres dans tout le pays. La milice du parti du président tué Habyarimana (les interahamwe), soutenue par la garde présidentielle, s'en est pris aux tutsi mais aussi à tous les hutu jugés de conspirateurs dans cette guerre. En même temps, le FPR, qui semble être le vrai auteur de l'attentat qui a coûté la vie aux deux présidents, avait déjà alerté ses troupes. Chemin faisant, l'avancé de ses troupes vers Kigali directement après l'explosion de l'avion présidentiel s'est distingué par l'extermination de plusieurs milliers de civils hutu. A Kigali même, plusieurs familles hutu (hommes, femmes et enfants) furent exterminés[1] par les éléments du FPR. En attendant la proclamation officielle du nouveau gouvernement de transition, un contingent FPR fort de 600 personnes avait été installé officiellement dans le bâtiment du parlement (CND). Selon l'accord qui avait été signé entre le gouvernement rwandais et le FPR, ce bataillon était normalement chargé de garder les officiels du FPR venus à Kigali pour l'occasion.
Il est à remarquer qu'après la victoire du FPR en juillet 1994, les massacres à grande échelle des hutu se sont poursuivis. Cette épuration ethnique intervenant sous couvert de l'émotion provoquée par les massacres des tutsi en avril 1994 a été passée sous silence par la communauté internationale qui n'a pas voulu mettre en place une commission d'enquête. Seul le rapport Gersony, sorti en septembre 1994, a voulu attirer l'attention internationale sur l'extermination de plusieurs civils hutu à l'intérieur du pays. Il a ouvertement accusé le FPR de génocide et de crimes contre l’humanité. Pourtant, ce rapport a été frappé par un embargo malgré que cette mission ait été menée sur recommandation de l'ONU. Sans parler du génocide des hutu opéré au Zaïre en 1996, les plus graves massacres survenus à l'intérieur du Rwanda sont ceux de Kibeho en avril 1995 où, pendant une opération sanguinaire programmée, plus de 4.000 hutu réfugiés (selon Médecins sans Frontières) furent froidement abattus par les soldats du FPR. Alors que sous l'ordre militaire du FPR, la plupart des corps des victimes avaient été cachés et/ou enterrés dans des fosses communes pendant plusieurs nuits, le président Bizimungu va lui-même dénombrer jusqu'à 338 tués, délaissés sur les lieux quelques jours après ce monstrueux carnage. L'image la plus terrifiante et la plus saisissante de Kibeho restera celle de cette malheureuse femme jetée dans la fosse commune avec son bébé sur le dos alors que plusieurs autres enfants, certainement grièvement blessés, se mouvaient au milieu des autres cadavres.
D'autres lieux resteront pour toujours dans la mémoire des rwandais. Il s'agit entre autres de Masaka (commune Kanombe), Gabiro, forêt du Groupe Scolaire de Butare, et de plusieurs autres lieux cachés et interdits aux civils et étrangers où le FPR brûlait les civils hutu et les enterrait dans des fosses communes. Les gens arrivaient vivants, on les faisait l'ingoyi (le ligotage des coudes dans le dos) et on les tuait de coups précis sur l'os frontal du crâne à l'aide d'un marteau, d'une massue ou d'une vieille houe[2]. Par ailleurs, plusieurs civils hutu sont morts, asphyxiés dans des containers hermétiquement fermés. Ces containers étaient volontairement exposés à la chaleur du soleil. Jusqu'à présent, cette méthode de torture des hutu est encore utilisée dans le pays. Pourtant, presque tous les médias et les autres défenseurs des droits de l'homme ont laissé passer cette situation sous silence, comme si l'homme hutu ne valait pas autant que son homologue tutsi. Ici, il y a lieu de se demander comment les experts d'Amnesty International, qui se sont donné le travail d'exhumer certains corps, ont pu distinguer si les os trouvés étaient hutu ou tutsi, et plus grave encore, si l'individu avait été tué par les interahamwe ou par le FPR. Ceci est d'autant plus important que les deux antagonistes utilisaient presque les mêmes moyens d'extermination. Il y a aussi et surtout lieu de se demander le bien-fondé du silence inhabituel d'African Human Rigths, dont la présence sur le terrain a été toujours sans aucune restriction.
C'est pourquoi, les gens qui connaissent le Rwanda ont parfaitement raison de se poser plusieurs questions.
- Quelle est la responsabilité (dans cette guerre) de celui qui a agressé et attaqué le Rwanda en octobre 1990, alors réputé comme pays de paix?
- Quelle est la responsabilité des pays comme les USA, la Belgique, …. Dans ce conflit ?
- Qui a tué les deux présidents du Rwanda et du Burundi et à qui profitait ce crime ignoble?
- Pourquoi la communauté internationale a classé ce crime particulièrement odieux comme un crime normale? Elle semble déjà avoir clôturé cette affaire.
- Parmi les deux grands antagonistes dans ce conflit (hutu et tutsi), qui a perdu plus d'hommes (civils massacrés par les militaires) et pourquoi?
- Est-il objectif de décrier le génocide des tutsi seulement ou est-il plus logique de parler de génocide des hutu et des tutsi?
De toutes les façons, s'il y a eu un génocide, il a touché toute la population. Sur ce, on peut même se demander comment peut-on être victime d'un génocide et gagner en même temps une guerre. Parler de génocide revient à affirmer, non seulement, l'existence des coupables, mais aussi des victimes. C'est pourquoi, une telle lecture des événements d'avril 1994 peut permettre non seulement d'identifier les martyrs, mais aussi et surtout les responsables. Or, les responsables et les victimes se trouvent des deux côtés. Ils sont hutu, mais aussi tutsi. La terreur a été bidirectionnelle pendant les massacres de 1994, d'où la raison à ceux qui pensent au double génocide. Elle est même devenue à sens unique après la victoire du FPR. En effet, l’équipe du rapporteur des Nations Unies sur les éxactions commises par le FPR au Zaïre, Roberto Garreton a dénombré entre vingt mille et cent mille cadavres des hutu tués. Pourtant, sa libre circulation sur le sol zaïrois avait été restreinte tellement qu’il a même dû quitter précipitamment ce pays. Sous la pression des USA, le terme génocide qui avait été utilisé pour qualifier cette sale besogne du FPR a été remplacé par « massacres »
Concernant la mort des deux présidents rwandais et burundais, plusieurs spéculations circulent, souvent même dans le seul but de brouiller les pistes. C'est pourquoi, bien que je ne sois pas mieux placé pour répondre à cette question, rien ne m'empêche de donner une analyse, si petite ou incomplète, pour essayer d'éclairer le noeud du problème. Deux hypothèses les plus probables ont été avancées. L'une incrimine le "noyau dur" du pouvoir Habyarimana et l'autre met directement sur les sellettes le "FPR".
Concernant la première hypothèse du noyau dur, les tenants de cette variante l'appuient en rappelant que le président Habyarimana et son entourage le plus dur (AKAZU) avaient bloqué la mise en place des institutions de transitions pour que les accords d'Arusha ne restent que lettre morte. Selon eux, comme Habyarimana risquait de mettre en oeuvre ces accords, il fallait à tout prix l'éliminer. De prime abord, le raisonnement semble cohérent. Mais, pour quelqu'un qui connaît les anciennes personnalités politiques rwandaises, de telles affirmations perdent vite leur sens. En effet, qui constituait ce noyau dur (AKAZU) qui a trahi le peuple rwandais et qui ne voulait absolument pas lâcher le pouvoir? Ceux qui ont vécu au Rwanda et qui connaissent l'AKAZU vous diront que les grands manitous* de l'AKAZU sont morts dans l'avion présidentiel en même temps que le Président Habyarimana. Les membres de l'AKAZU n'étaient pas aussi drôles jusqu'à se couper les bras et les jambes pour mieux affronter l'ennemi! Ainsi, la mort des grands leaders de l'AKAZU n'est certainement pas à mettre sur le dos des responsables proches du président tué, il faut chercher ailleurs. Cinq ans après le changement du pouvoir à Kigali, il y a lieu de se demander pourquoi les nouvelles autorités de Kigali ne veulent pas du tout entendre parler de l'enquête y relative. L'affaire a été classé sans suite malgré son importance dans l'éclaircissement du drame rwandais.
Il faut se souvenir que ce n'est pas pour la première fois que le FPR commettait des meurtres politiques et que les comptes étaient portés aux autres acteurs politiques rwandais (cfr. mort de GATABAZI F. et de GAPYISI E.). En faisant un petit feed back relatif à la mort de cet ancien ministre des travaux publics (GATABAZI) et qui était également premier vice-président du parti PSD, on se rend compte qu'il a été abattu dans les mêmes conditions que le président Habyarimana. Sa mort, qui au début a été porté à tort et à travers sur le compte d'un autre parti politique, la CDR, a causé beaucoup de troubles dans le pays, entraînant même la mort du président de ce parti (BUCYANA). Actuellement, il semble de plus en plus clair que cet assassinat émanait du FPR. Les ressemblances de ces deux attentats font croire que ces actes odieux s'inscrivent dans la logique d'un même auteur.
Il faut se rappeler également qu'avant la guerre de 1990, le Rwanda était l'un des pays africains les mieux côtés par la communauté internationale en ce qui concerne la bonne gestion du pays. Malgré cette côte, la guerre médiatique menée par le FPR déjà en 1991 faisait croire que le Rwanda était un démon. De telles manoeuvres, que le FPR opérait sous l'oeil des médias corrompus, lui sont propres et présentement n'étonnent plus personne. A moins que ceux qui avancent cet argument ne disent que le noyau dur du régime était constitué par d'autres éléments jusqu'à présent non connus, cette hypothèse semble de toute vraisemblance moins plausible.
Quant à la seconde hypothèse qui incrimine le FPR, ses tenants partent du fait que le FPR avait crié haut et fort, même sur les ondes de sa radio Muhabura, que leur ennemi n° 1, c'était Habyarimana et qu'il fallait l'éliminer. Ceci est renforcé par le fait que Habyarimana était devenu, dans son empire dont il était le dictateur, comme le seul représentant politique valable du Rwanda et que sa disparition signifiait un vide politique que seule une victoire militaire pouvait combler. C'est ce qui s'est produit. Rappelons que cette victoire militaire était tant convoitée par le FPR. C'était son objectif numéro un. Le FPR avait donc tout intérêt à mettre ce plan en exécution d'autant plus que sa présence militaire dans Kigali, renforcée par des infiltrations massives et par un appui déguisé des Etats étrangers, lui accordait une suprématie militaire notoire. De plus, la présence de son armée tout près de l'aéroport où a été descendu l'avion présidentiel, augmente la probabilité de cette hypothèse.
Le silence qui entoure la mort du président HABYARIMANA cache la réalité de la cause de la tragédie rwandaise. Plusieurs indices intéressants existent, mais personne ne veut aller plus loin (mort de casques bleus belges tués, leur nombre, avion belge équipé d'antimissiles qui a survolé l'aéroport avant l'attentat, propos de Willy Claes lors de sa dernière visite officielle au Rwanda en tant que ministre des affaires étrangères devant le président "il est minuit moins cinq", etc.). A ce propos, les détenus d'Arusha écrivent: "Le nombre de casques bleus tués à Kigali reste mystérieux malgré la commission parlementaire belge qui devait élucider ce problème. D'ailleurs, un représentant des familles des casques bleus tués a déclaré devant la commission sénatoriale: « Lorsque nous avons rencontré le premier ministre, il nous a expliqué que la recherche des responsabilités risquait d’engendrer des problèmes politiques qui pourraient aller jusqu’à faire tomber le gouvernement. Il ne pouvait pas aller si loin. » Ainsi plusieurs témoins oculaires avancent un nombre supérieur à dix, accréditant ainsi la thèse selon laquelle l’avion présidentiel a été descendu par les mercenaires complices du FPR[3]."
Plusieurs enjeux dans cette guerre n'ont pas encore été bien élucidés. Le conflit n'était pas seulement hutu-tutsi (nous allons le voir dans les chapitres qui suivent), mais impliquait plusieurs nations étrangères avec des objectifs à peine camouflés. Malheureusement, plusieurs tutsi qui vivaient à l'intérieur du Rwanda et non ceux qui avaient attaqué le pays ainsi que les hutu en ont été victimes. Les hutu, même après la victoire du FPR, ont continué de vivre ce cauchemar. L'arrivée du FPR à Kigali avait laissé penser que les tutsi avaient gagné. Dans les faits, seuls quelques individus de la diaspora tutsi ont vu leur rêve tomber du ciel mais en réalité, les tutsi de l'intérieur et les hutu ont perdu cette guerre. C'est tout le peuple rwandais qui a perdu finalement et qui actuellement, est en train de payer.
Telles sont certaines des questions que les rwandais devraient éclaircir en vue d'une réconciliation sans faille.
La dénomination du drame rwandais et ses acteurs
A la veille du début de la démonstration sanguinaire du 6 avril 1994, le schéma des acteurs de l'imbroglio socio-politique rwandais, qui s'est vite transformé en une confrontation armée des deux adversaires ethniques, était composé comme suit:
Le camp hutu, dans lequel on pouvait distinguer:
- les membres du parti au pouvoir (MRND) avec sa milice interahamwe,
- les factions des autres partis d'opposition démocratique qui s'étaient ralliés au MRND.
Le camp tutsi, dans lequel il faut distinguer:
- L'Ouganda.
- le FPR avec toute la diaspora tutsi,
- les tutsi qui vivaient à l'intérieur du pays avant la guerre,
- les dissidents (hutu) des différents partis démocratiques d'opposition sympathisants du FPR. Les étrangers les appellent à tort et à travers les "modérés".
A ces deux camps à caractère purement ethnique, il faut ajouter un troisième camp relativement moins visible. C’est le camp des pays impérialistes , vecteurs du conflit rwandais.
Pendant les massacres d'avril 1994, le camp hutu s'est montré farouche à ces deux dernières catégories du camp tutsi: les tutsi de l'intérieur et les dissidents des partis politiques d'opposition pro-FPR. Les tutsi de l'intérieur, alors que certains d'entre eux n'avaient rien à avoir avec le FPR, ont été massacré. D'une part, ils étaient considérés comme des conspirateurs par le camp hutu et de l'autre part, le FPR les a considérés comme un bouclier. En effet, par ses attaques, le FPR savait bien qu'il compromettait leur vie mais il le faisait malgré tout. Certains membres du FPR sont même arrivé à dire qu'on ne peut pas faire d'omelette sans casser d'oeufs. C'est ainsi que dans les tirs d'obus qui se sont abattus sur la capitale Kigali, le FPR en a délibérément lancés plusieurs sur les abris des tutsi (Eglise Sainte Famille). Cela se faisait dans le but de discréditer publiquement l'armée rwandaise et de la rendre responsable de tous les maux.
C'est dans le même cadre que le FPR s'est rendu coupable en massacrant des milliers de hutu après la prise de l'Est du pays. En effet, alors que presque tous les hutu avaient traversé la frontière tanzanienne pour y trouver refuge et que le FPR était resté seul maître de toute la région, plusieurs corps qui flottaient sur la rivière AKAGERA et le lac Victoria ont été montrés aux médias étrangers. Le FPR et son principal allié l'Ouganda avançaient que ces corps avaient été tués par des interahamwe. Les interahamwe ne pouvaient pas massacrer ces personnes alors qu'ils n'étaient plus sur le territoire rwandais. La majorité de ces corps était liée les mains dans le dos, ce qui est une torture célèbre utilisée exclusivement par les inyenzi-inkotanyi. Pour détourner l'attention de la communauté internationale, le président ougandais Museveni, qui est le véritable génocidaire du peuple rwandais, s'est précipité à déclarer le lac Victoria comme zone sinistrée.
Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que dans certaines régions du pays, c'est le FPR qui a commencé les massacres des tutsi. Bien sûr, le discours du gouvernement Kambanda n'était pas aussi pour la paix, mais grâce aux infiltrations massives du FPR, ce discours belliqueux lui permettait directement de passer physiquement à l'action. Comme les soldats FPR étaient habillés comme des FAR (Forces Armées Rwandaises) et que l'un des buts de ces infiltrations était d'inciter la population civile à s'exterminer, les massacres devenaient si vite infernales qu'on ne pouvait absolument pas se rendre compte d'où venait ce courant meurtrier. Dans la préfecture de Butare par exemple, le discours belliqueux du gouvernement Kambanda a permis au FPR de commencer les massacres. Dans son plan diabolique, il devait inciter la population civile à s'entretuer et entretemps, sa milice, qui était stationnée de l'autre côté au Burundi, devait trouver l'alibi d'entrer calmement dans ces massacres. Curieusement, plusieurs intellectuels tutsi détenaient des armes que le FPR avait distribuées. Malheureusement après avoir attisé le feu, la réaction de la population hutu a été si brutale que la milice FPR du Burundi est arrivée trop tard. Les dégâts en vies humaines étaient innombrables. Qu'importe pour les inyenzi-inkotanyi! Quel que soit le nombre des victimes tutsi, le FPR voulait seulement le pouvoir. Les massacres dans tout le pays, couplés avec la perte du territoire par les FAR à son profit le rapprochait de la victoire finale. C'est pourquoi le massacre des tutsi de l'intérieur du Rwanda, encouragé par ailleurs discrètement par le FPR, lui facilitait la tache sur le terrain. De l'autre part, les médias occidentaux ne transmettaient que des scènes d'horreur données exclusivement par le FPR. L'objectivité du métier journalistique était totalement réduite à son infime valeur.
Alors que le camp hutu s'en était pris aux tutsi de l'intérieur et aux hutu pro-FPR, le FPR lui, s'en est pris à toute la population rwandaise. Hormis quelques personnalités hutu de renom publique qu'il avait évacuées sur le territoire conquis (Byumba), tous les autres hutu qui ont eu la malchance d'être capturés par le FPR ont été massacrés. Pourtant, pour se vanter de sa bonne discipline et de sa sagesse dans cette guerre, le FPR-inkotanyi a exhibé ces hutu sous sa protection devant les médias étrangers. La guerre des douilles s'était véritablement transformée en une guerre des médias.
Cinq ans après les événements malheureux de 1994, il semble de plus en plus évident que le sentiment de haine et de vengeance prédomine sur la réconciliation. Quand les journalistes ont demandé à une rescapée tutsi du génocide de 1994, si elle était prête à pardonner, sa réponse a été sans ambages. "Le pardon ne se donne pas comme on offre du chocolat aux enfants"*. Cette prise de position d'une ambassadrice officieuse du FPR en Belgique, mais réellement engagée, illustre bien l'attitude de son parti politique face à la question délicate de la réconciliation. Le problème qui se pose est de savoir: qui doit pardonner qui? Dès son attaque en 1990 jusque même après sa victoire, le FPR a massacré et continue de massacrer des civils hutu innocents. Lors du génocide de 1994, les hutu ont massacré les tutsi mais aussi des autres hutu. La responsabilité incombe à tous les camps. Tous devraient normalement se pardonner. Nous pensons qu'un regret sérieux accompagné d'un rejet sincère du mal vécu conduirait les hutu et les tutsi à vivre durablement ensemble. Un rwandais nouveau naîtrait ainsi, avec le seul but de porter pour son peuple l'étendard de la paix et non celui de la guerre.
Ainsi, dans le cadre de la réconciliation, le camp hutu, qui regroupait presque la totalité des hutu, devrait reconnaitre sa part de responsabilité dans le drame rwandais. De fait, les hutu devraient comprendre qu'ils se sont laissée tomber dans le piège de l'ennemi - les inyenzi-inkotanyi. Ils devraient ainsi demander des excuses aux tutsi de l'intérieur qu'ils ont massacré alors que la plupart étaient des innocents. Ils devraient aussi se réconcilier avec les autres hutu et comprendre que la pluralité des idées et idéologies est une des richesses de la démocratie. Par ailleurs, malgré sa victoire militaire, le FPR devrait avoir la franchise de demander pardon à tout le peuple rwandais (hutu et tutsi). Il a causé une guerre meurtrière, massacré des hutu innocents et s'est servi des tutsi de l'intérieur comme un bouclier. Sans cette reconnaissance de la réalité rwandaise par les deux antagonistes, la réconciliation, tant prônée par les nations étrangères, ne sera que comme un bateau avec une voile mal attachée et qui d'un moment à l'autre est condamné à chavirer. Se réconcilier, c'est d'abord reconnaitre ses actes et surtout ses erreurs envers autrui. Ses quelques années de pouvoir FPR ne montrent rien dans ce sens.
C'est pourquoi, le piège tendu par le FPR à la communauté internationale de reconnaître ces massacres comme un génocide constitue un grand projet historique, destructif et catastrophique pour les rwandais. Durant toute la guerre et cela des deux côtés des belligérants, il n'y a eu ni des bons ni des mauvais. Chacun avait l'objectif d'exterminer l'autre. En reconnaissant unilatéralement le génocide au Rwanda, la communauté internationale a signé pour une atteinte portée aux droits des tutsi seuls. Elle a ainsi rendu un mauvais service au peuple rwandais. En effet, les tutsi ont été considérés comme un peuple martyrisé quelque part au Rwanda. Cela a accentué la bipolarisation ethnique. C'est un frein réel à la réconciliation. Un génocide frappe la psychologie des survivants pendant longtemps. Il reste gravé dans leur mémoire. Il ne s'efface pas facilement et même l'histoire le cite en grandes lignes. Le malheur qui a fait que le génocide a été mis seulement sur le dos des hutu est lié à la fameuse question des minorités ethniques, mais aussi et surtout au fait que les hutu se sont laissés vaincre. Or, l'attaque du pays a été faite par le FPR. Ce dernier avait bien pesé toutes les conséquences. Si les allemands ont reconnu le génocide des juifs et qu'ils se sont même réconciliés, ce geste avait un sens. Ce sont eux qui se sont livrés à l'attaque et à la chasse des juifs. Dans le contexte rwandais, on veut paradoxalement faire croire au monde entier que celui qui a été agressé doit supporter tout le poids des malédictions de la guerre et présenter des excuses à son agresseur. Quelle logique de la communauté internationale!
Même si l'histoire s'est caractérisé par plusieurs guerres, la guerre n'a jamais été un bon moyen pour arriver au pouvoir. Elle détruit plus qu'elle ne construit et l'agresseur devrait normalement assumer toutes ses responsabilités dans le drame. Malgré cela et quelles que soient ses atrocités, le vainqueur d'une guerre a malheureusement toujours raison. C'est ce qui s'est passé au Rwanda. La victoire du FPR en 1994 lui a conféré la légitimité. Toutefois, laisser une minorité quelconque évoluer dans des erreurs de gestion d'un pays sous prétexte de n'importe quelle bavure de son droit dans le passé est un acte démocratiquement irresponsable. Devant cette machination internationale, comment voulez-vous que la réconciliation soit facile? Perdre la partie a été une lâcheté pour les uns, mais les autres devraient reconnaître que la bataille n'a pas été perdue in aeternum. Ajoutons seulement que « qui vivra verra ».
[1] La mesquinerie qui a caractérisée cette guerre montre encore son caractère ethnique. En effet, au moment où des innocents tombaient sous les balles des deux antagonistes, plusieurs personnes, toutes ethnies confondues, avaient pu trouver refuge ou à l'Hôtel des Mille Collines ou au stade national AMAHORO à Remera. Malheureusement, les deux camps en ont profité pour montrer leur barbarie. C'est ainsi que les hutu qui s'étaient réfugié à Remera furent pris comme des otages du FPR. Les tutsi qui étaient à l'Hôtel des Mille Collines reçurent le même sort du côté des interahamwe. Ce n'est que vers la fin de la guerre, grâce à la médiation des Nations Unies, que les otages furent relâchés et reconduits successivement: les tutsi dans la zone alors occupée par le FPR (zone tutsi !) et les hutu dans la zone encore libre des combats (zone hutu !). Plusieurs disparitions furent déplorées des deux côtés.
[2] Libération du 28 février 1996
* Parmi les chefs de l'AKAZU (noyau dur du pouvoir) morts dans l'attentat contre l'avion présidentiel, on peut citer entre autre la major Bagaragaza: officier-gorille du président, le docteur Uwimana: médecin personnel du président; le colonel Sagatwa: beau-frère et secrétaire particulier du regretté président, etc.
[3] Lettre des détenus d’Arusha adressée aux hauts responsables de ce monde, Arusha, janvier 2000, annexe I, p. 15
* Mukagasana Interview télévisée par la RTBF