Rwanda: révélations sur les massacres de Bisesero

 

Marianne 

 D’anciens soldats de l’armée patriotique du Rwanda, le bras armé du Front patriotique rwandais de Paul Kagamé, et un survivant tutsi, sauvé par des soldats français, livrent de nouveaux éléments sur un épisode clef du génocide rwandais qui vaut aux forces de l’opération Turquoise d’être pointées du doigt.Certains en ont fini avec la tragédie rwandaise, un des pires génocides contemporains (800 000 morts, principalement tutsis), survenu en 1994 dans un pays où le feu couvait depuis des années. C'est le cas de la justice française qui l'an dernier a refermé une instruction vieille de vingt ans et visant plusieurs proches du dictateur Paul Kagamé, maître du pays depuis la fin des massacres et la victoire de son Front patriotique rwandais (FPR). Ils étaient soupçonnés avoir joué un rôle actif dans l'attentat meurtrier contre l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, événement présenté comme déclencheur du génocide. « Preuves insuffisantes » ont finalement tranché les magistrats, soulagés de se débarrasser d'un « boulet » réputé plomber depuis trop longtemps les relations entre la France et un Etat phare d'un certain miracle économique africain.

D'autres, avec plus ou moins de sincérité, portés par de fortes convictions supposément anticolonialistes et une compassion pour les victimes tutsies interdisant le moindre doute, poursuivent un combat dont la France, « complice », estiment-ils, des génocidaires hutus, reste le seul et principal objectif. Et gare à qui ne partage pas leur credo, en partie ou en totalité, et se voit immédiatement qualifié de « négationniste ». A leurs yeux, et en dépit d'années de recherches sur le sujet, les deux journalistes et essayistes auxquels Marianne donne aujourd'hui la parole, appartiennent à cette catégorie infamante. Journaliste canadienne, ayant travaillé aussi bien pour RFI que le quotidien anglophone Globe and MailJudi Rever n'a jamais cessé d'interroger l'angle mort du génocide et y a d'ailleurs consacré un ouvrage, Praise of blood, the crimes of the Rwanda patriotic front, récompensé par de nombreux prix. Convaincue depuis longtemps que le FPR de Paul Kagamé n'a pas les mains aussi propres qu'il le prétend, elle va aujourd'hui plus loin et l'accuse d'avoir pris part aux massacres des Tutsis, en infiltrant les milices du Hutu-Power. Avec un objectif politique conduit en tout cynisme : s'imposer comme le seul recours légitime face aux génocidaires. Elle s'attache tout particulièrement à un épisode central du génocide, le massacre, sur les collines de Bisesero, de plusieurs dizaines de milliers de Tutsis pour lesquels les militaires français n'auraient pas levé le petit doigt. Basée sur de nombreux témoignages, nécessairement anonymes en raison du climat de peur que Kagamé fait régner chez ses opposants exilés à l'étranger, c'est son enquête.

Mais elle s'inscrit dans le fil de celles que notre collaborateur Pierre Péanmort en juillet dernier, a mené sans relâche, malgré les campagnes d'insultes et d'intimidation. « Fils spirituel » du disparu, le journaliste franco-camerounais Charles Onana a, lui, publié pas moins de six ouvrages sur la tragédie. Dans le même état d'esprit : ne pas céder à la seule loi de l'émotion et examiner les faits avec les outils de la raison. Dans un entretien avec Marianne (publié dans notre numéro double de fin d'année actuellement en kiosques), il revient sur son dernier ouvrage, La vérité sur l'opération Turquoise où il démonte les accusations contre la France et comment le FPR en a fait son miel.

Le débit de Martin, normalement rapide et assuré, change tout d’un coup lorsqu’il parle de Bisesero, au Sud-Ouest du Rwanda, en 1994. « Ils ont tué mon père et ma mère. Ils ont tué mes deux sœurs, mon frère aîné et mon plus jeune frère », dit-il d’une voix faible et mal assurée. « Ils les ont massacrés à la baïonnette, à la grenade et avec des houes. Je n’ai pas pu les enterrer et lorsque j’ai découvert qui étaient les responsables ce fût une pure torture psychologique.»

Pendant vingt-cinq ans, Etats et médias internationaux ont fait de Paul Kagamé le libérateur d’un pays poussé au bord de la folie en 1994. Des chercheurs du monde entier ont essayé, à grand peine, de comprendre comment tant de Tutsis ont pu être exterminés si rapidement dans ce petit pays d’Afrique centrale, en l’espace de cent jours. D’après l’histoire officielle, telle que rapportée dans les livres et par les survivants du Rwanda étroitement contrôlés par Kagamé, c’est le précédent gouvernement hutu et ses bourreaux volontaires qui décidèrent d’exterminer la minorité tutsie à la machette, dans une tentative désespérée pour se maintenir au pouvoir.

Alors qu’il y a quelques désaccords sur l’estimation du nombre de victimes tutsies, entre 500 000 et un million, il n’y a pas de controverse historique sur le niveau de brutalité et l’ampleur de la disparition des Tutsis d’avril à juillet 1994. Bisesero, fief tutsi où des dizaines de milliers de victimes furent tuées à la hache, à l’arme à feu ou brûlées par des hordes de tueurs, est régulièrement cité comme exemple de la forme la plus « pure » du génocide des Tutsis en 1994 Et pourtant, pour Martin, l’identité de l’organisateur et responsable ultime des massacres abominables de Bisesero ne fait aucun doute. Il affirme que le cerveau en était Paul Kagamé lui-même.

Dans ce pays où Hutus et Tutsis se ressemblent quelquefois beaucoup, partagent la même langue et la même culture, Kagamé et ses chefs militaires mirent au point une stratégie d’ « intoxication » qui passera à la postérité.. Au cours de leurs actions, les soldats tutsis de Kagamé se dissimulaient sous l’uniforme de la milice hutue pour s’en prendre aux civils. La terreur engendrée par le carnage provoqua autant d’horreur que de dégoût sur place et à l’étranger, donnant au FPR le capital politique nécessaire à la réalisation de ses ambitions nationales et internationales.
 

Infiltrer, dissimuler et tromper

 

Martin et quatre autres soldats de Kagamé affirment aujourd'hui que des commandos issus des bataillons du FPR ont infiltré la milice hutue et ont sauvagement massacré les Tutsis de Bisesero. Ils les décrivent enlevant les Tutsis chez eux ou les poussant des collines dans les ravins à l’aide de houes et de gourdins improvisés, de matraques plantées de clous et de métal coupant, frappant les victimes à la tête et au cœur.

Mes sources, qui m'ont pratiquement toutes réclamé un total anonymat pour des raisons de sécurité évidente, établissent que des centaines de membres des commandos FPR effectuèrent une descente sur Bisesero et les zones environnantes de Mumubuga, Uwingabo, Mataba, Kagari, Ngoma, Muyira et, au-delà, dans la région de Kibuye. Aux côtés de la milice hutue dite Interahamwe, ces commandos lancèrent une série d’attaques initiales dans la région, du milieu à la fin du mois de mai 1994, au plus fort du génocide. La milice Interahamwe était la jeune garde du parti au pouvoir du président Juvenal Habyarimana, le MRND, (Mouvement révolutionnaire national pour le développement) dont de nombreuses recrues étaient au chômage, exilées et affamées. Il est également avéré que des commandos du FPR avaient infiltré les milices des partis hutus d’opposition.

Au début des attaques de ces milices « mixtes », les Tutsis de Bisesero organisèrent une résistance inhabituellement efficace, combattant les tueurs à l’aide de lances et d’autres armes traditionnelles. Ils démontrèrent un courage et une force si remarquables que Kagamé lui-même y fit référence dans un de ses discours : « Une exception majeure au schéma d’abandon et de désespoir est à noter dans les annales horribles du génocide. La résistance organisée par des milliers de Tutsis, pour la plupart sans armes, à Bisesero, dans la province de Kibuye, à l’Ouest du Rwanda, est en elle-même un témoignage de la détermination d’un important groupe de la population à ne pas devenir des victimes. » Et cependant, par une de ses opérations les plus diaboliques et les mieux planifiées de 1994, c'est bien le FPR qui finit par écraser la résistance des Tutsis de Bisesero, s’assurant de leur mort par milliers fin juin, alors que l’armée française arrivait au Rwanda pour y conduire une mission d'aide humanitaire.

D’après plusieurs témoins ayant fui le Rwanda, ce sont les commandants en chef bénéficiant de sa plus grande confiance, James Kabarebe et Charles Kayonga, que Kagamé chargea d’organiser l’opération de Bisesero. Kabarebe était le responsable des gardes du corps de Kagamé au bataillon du Haut Commandement et Kayonga celui du 3ème bataillon basé à Kigali, la capitale, et par lequel transitaient les commandos avant de se déployer dans les provinces. Kabarebe et Kayonga inondèrent la région d’un nombre toujours croissant de commandos et d’armes - grenades et fusils en particulier - puis reçurent un appui militaire d’un petit groupe de soldats de l’armée du président Juvenal Habyarimana à Kibuye. Toutefois, un ancien haut responsable du renseignement du FPR, confirmant au passage le rôle déterminant de celui-ci dans le massacre de Bisesero, affirme que les forces militaires hutues officielles avaient fui la région vers la fin juin et ne prirent pas part directement à la tuerie des Tutsis. « C’est pure fiction, explique-t-il. Quand les Tutsis de Bisesero furent tués par les commandos Interahamwe et le FPR, les FAR (Forces armées rwandaises) étaient en fuite.

Les cadres politiques

Les cadres civils du FPR, appelés « abakada », travaillaient sur le terrain avec les responsables hutus de divers partis d’opposition comme le PL, le PSD et le MDR pour assurer l’infiltration des milices hutues. D’après les témoignages, ces responsables facilitaient la fabrication de fausses cartes d’identité hutue ainsi que de fausses cartes de membre du MRND pour les commandos.

D’après les soldats interrogés, les cadres supérieurs du FPR qui supervisèrent les opérations de Bisesero étaient de la préfecture de Kibuye. Dans les mois précédant le génocide, ces cadres tutsis stockèrent des grenades et des armes traditionnelles chez eux et convainquirent d’autres Tutsis d’en faire autant.

Selon les témoins toujours, l’effectif des commandos déployés au Rwanda atteignait plusieurs milliers. Ils comprenaient des membres tutsis du FPR se faisant passer pour des Hutus et des Hutus recrutés pour suivre une formation commando par des cadres de leur ethnie mais opposés au gouvernement Habyarimana. C’est parce qu’ils voulaient affaiblir le gouvernement Habyarimana sur le terrain, comme aux yeux de la communauté internationale, que ces représentants de l’opposition participèrent à cette infiltration, main dans la main avec le FPR, même si on ne peut vraiment établir que ces opposants hutus étaient complètement avertis de la stratégie visant à l’extermination.Les Tutsis de l’intérieur, c'est-à-dire ceux vivant au Rwanda par opposition à ceux qui grandirent comme réfugiés en Ouganda, au Burundi, au Congo et en Tanzanie, furent sacrifiés sur l’autel des vastes ambitions du FPR. Kagamé s’est servi des Tutsis de l’intérieur comme d’une passerelle pour atteindre le pouvoir. Il a tué les Tutsis puis a fait tout son possible pour convaincre le monde que les seuls responsables étaient les Hutus », déclare James Munyandinda.

Kagamé est bien vu du monde entier parce qu’il a fait croire qu’une majorité de Hutus a tué les Tutsis et que dans l’holocauste rwandais, il a été le défenseur des victimes. Mais nous savons tous ce qui s’est passé », déclare un autre témoin. Kagamé joue encore cette carte aujourd’hui. Depuis toujours sa stratégie a été de conquérir le pouvoir et de devenir le leader du pays.

 

LA PRÉPARATION DES TUEURS

Débutée en février 1992, la formation des commandos se termina en août 1993. Le FPR les entraîna secrètement par vagues, d’abord dans un endroit du nom de Kavu, au Nord du Rwanda, puis dans la vallée proche de Karama, au sein d’une bananeraie. « Ils tiraient, couraient, sautaient, un groupe après l’autre. Parfois 80 à la fois, parfois 200, ou même 300. » A la fin 1993, explique un officier supérieur, les commandos constituaient un groupe très important. Les soldats affirment que plusieurs milliers de jeunes hommes suivirent la formation commando et furent déployés à Kigali et dans tout le Rwanda en janvier 1994, prêts à agir après l’assassinat d’Habyarimana le 6 avril 1994. Cinq témoins au courant du détail de l’opération de Bisesero expliquent qu’un capitaine surnommé « Kiyago » était le chef des commandos de Kagamé. James Munyandinda précise : « Par radio, Kabarebe recevait matin et soir directement de Kiyago les rapports des activités sur le terrain. »

Le capitaine Kiyago est cité comme l’auteur de crimes graves dans un rapport d’investigation confidentiel de l’ONU. Il est connu, parmi d’autres, pour avoir infiltré la milice hutue pour le compte du FPR et pour avoir directement participé à la tuerie des Tutsis. En 2008 il fut inculpé par un juge espagnol pour activités terroristes concernant des faits commis avant le génocide. En dépit de l’inculpation en Espagne et de l’enquête menée par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda) Kiyago rejoignit la force de paix conjointe UN-Union Africaine au Darfour en tant que directeur des transports, de 2009 à 2011. Les anciens collègues de Kiyago le décrivent comme sadique et dangereux. « C’était quelqu’un prêt à n’importe quoi pour se mettre en avant et Kagamé s’est souvent servi de lui », dit un officier qui l'a connu lors des premiers combats communs dans l’armée de résistance nationale rebelle (National Resistance Army) de Yoweri Museweni, l'indéracinable président ougandais, ami et protecteur de Kagamé et du FPR. Kiyago, Godfrey Ntukayajemo de son vrai nom, appartient à l’ethnie hutue et a grandi à Kisoro dans la région Ouest de l’Ouganda, district de Rutiga, d’où est originaire Jack Nziza, longtemps responsable du renseignement militaire du Rwanda. Bien que hutu, Kiyago fut enrôlé dans l’armée rebelle de Museveni dans les années 1980 en même temps que de nombreux Tutsis rwandais en exil en Ouganda. A cause de son apparence et de son accent – « Il parlait comme ses cousins hutus de Ruhengeri (Nord-Ouest du Rwanda) », explique un officier supérieur, on le sélectionna pour infiltrer la milice Interahamwe. « Kiyago a dirigé les plus importantes missions du FPR. Il était toujours actif. »

On le soupçonne de l’assassinat de Félicien Gatabazi, homme politique d’opposition Hutu, en 1994, crime qui encouragea la violence dans la montée vers le génocide, donnant un avant-goût du cauchemar à venir. Des témoignages le citent également comme ayant aidé à massacrer Lando Ndasingwa, sa femme Hélène Pinsky, une Canadienne, et leurs deux enfants une fois déclenché le génocide. Dès le premier jour en fait. Ministre tutsi du gouvernement de transition d'Habyarimana, Lando était le frère de Louise Mushikiwabo, devenue plus tard, en 2009, la ministre des Affaires étrangères de Kagamé et récemment promue, en 2018, secrétaire générale de la Francophonie.

D’après plusieurs sources, Kiyago a été condamné pour avoir violé et tué une femme et sa fille alors que cette famille insistait pour récupérer sa maison qu’il avait confisquée après le génocide. Il fut condamné pour meurtre, fit un séjour en prison puis bénéficia d’une remise de peine et s’engagea comme soldat de la paix de l’ONU au Soudan. Le Globe and Mail, journal canadien, a publié en 2014 des enregistrements selon lesquels en 2011 on fit initialement appel à Kiyago pour assassiner les dissidents Kayumba Nyamwasa et Patrick Karegeya. Mais il ne fut finalement pas choisi, probablement à cause du mandat d’arrêt international lancé contre lui par l’Espagne.

Ses anciens collègues, qui connaissent bien Kiyago, signalent sa page Facebook actuelle, sous le nom de Kiyago Godfery. On trouve sur son compte des photos où il saute en l’air avec des étrangers dans le parc Akagera du Rwanda, comme s’il était leur guide, ainsi que de paisibles photos de sa mère, de ses enfants, de quelques femmes dont il a été proche et aussi une photo de Kagamé avec son fils et sa fille en treillis militaire. Il y a également des photos simples de sa jeunesse et des portraits décontractés plus récents, à l’âge mûr. Il fait référence à sa période au Darfour comme chauffeur pour les Nations unies et affiche le truquage photo sanglant d’un homme masqué arrachant son cœur pour l’offrir à une femme. Une mention de 2018 dit : « Ce n’est que dans la nuit que l’on voit les étoiles », une variation d’une citation de Martin Luther King Jr.

Kiyago semble également entretenir un compte Twitter dormant via lequel il remercie publiquement Kagamé pour ce qu’il a fait pour lui. Les tweets datent de 2011.

@Godfreykiyago – 19 Août 2011
Votre Excellence, encore moi, RTD Capt Kiyago, heureux de ce que vous faites pour le Rwanda et ce que vous avez fait pour moi. Votre Excellence je veux vous voir.

@Godfreykiyago – 16 Août 2011
Bonjour votre Excellence, RTD Capt Kiyago, je vous remercie de ce que vous avez fait pour moi. Je vous demande humblement un rendez-vous, le n° de téléphone est 0788xxxxxx merci.

LA FRANCE, BOUC ÉMISSAIRE

Une des allégations les plus virulentes issue des cendres du génocide rwandais a été lancée contre la France pour le rôle qu’auraient joué ses forces armées fin juin et juillet 1994 dans les préfectures du Sud-Ouest, Kibuye, Gikongoro, Cyangugu, dans le cadre de l’opération Turquoise, sous mandat humanitaire de l’ONU. Le Rwanda de Kagamé affirme que l’armée française a échoué à protéger les Tutsis de Bisesero, protégeant au contraire les criminels et se rendant coupable de complicité de génocide. La France, le seul pays à intervenir pour sauver des vies au Rwanda en 1994, a dénoncé ces accusations comme « monstrueuses ». Les soldats tutsis et les survivants qui m’ont confié leurs témoignages affirment que les accusations antifrançaises ne sont qu’une manœuvre transparente visant à faire diversion du rôle majeur du FPR dans le massacre des Tutsis. Et n'ont eu pour but, pendant des années, que d’amener la France à abandonner une instruction judiciaire sur le rôle du FPR dans l’assassinat de Habyrimana et le déclenchement du génocide.

En décembre 2018, le juge Jean-Marc Herbaut a prononcé un non-lieu à l’égard des chefs du FPR pour cause d’insuffisance de preuves. Les avocats des parties civiles, parmi lesquelles des membres des familles de l’équipage de l’avion abattu lors de l’attentat, prévoient de faire appel.

Le vice-amiral Marin Gillier faisait partie d’une équipe des forces spéciales françaises chargée de trouver des survivants et de les mettre à l’abri sous la responsabilité de l’opération Turquoise. Le 24 juin, aux premiers jours de leur arrivée au Rwanda, ils effectuèrent une reconnaissance dans un camp de transit hutu à Kirambo et dans des villages du Kibuye proches de Bisesero. « On est tombé sur des personnes qui étaient traumatisées parce que les gens mouraient de sévices, de faim, de peur, de maladie. On voyait des maux partout. »

Le 27 juin, lors d’un déplacement à Gishyita, au Nord-Ouest de Bisesero, les villageois expliquèrent aux soldats français que le FPR avait entièrement infiltré les collines de Kibuye et « essayaient de couper le pays en deux ». Mais Marin Gillier, capitaine de frégate à ce moment-là, ne savait quoi conclure de ces informations. Néanmoins, il fit un rapport de cette infiltration présumée par le FPR et fit officiellement état de ses observations devant une commission parlementaire en juin 1998. « A longueur de journée, les gens nous racontaient toutes sortes d’histoires, il y en avait sûrement qui étaient vraies et beaucoup qui étaient fausses. La difficulté était de savoir qui voulait nous manipuler, pourquoi et quelle était la vérité. »

Les forces françaises commencèrent à progresser plus loin vers l’Est, 5 km en direction des collines de Bisesero et entendirent ce qui semblait être des tirs d’artillerie. Le capitaine de frégate Gillier en informa son chef sur le terrain, le colonel Jacques Rosier. Le mandat du conseil de sécurité de l’ONU pour l’opération Turquoise stipulait clairement que l’armée française ne devait en aucun cas engager le combat sur le terrain ; elle était là pour protéger les civils, si nécessaire en faisant usage de la force, mais avait l’interdiction d’affronter le FPR ou d’apporter de l’aide à l’armée d’Habyarimana. Pour Marin Gillier, il était de toute façon évident à cet instant que son équipe « ne disposait pas des effectifs ni des soutiens qui permettaient d’intervenir de façon efficace ». Pour s’interposer et sauver des vies au milieu de la zone de conflit, ils n’avaient pas d’autre choix que d’attendre l’appoint d’hélicoptères d’attaque, armés de canons. Selon lui, il n’y eut jamais d’hésitation de la part des forces françaises, ou du commandant en chef de l’opération Turquoise, le général Jean-Claude Lafourcade, sur le fait de sauver des Tutsis à Biserereo ou ailleurs au Rwanda. Ils firent d'ailleurs immédiatement mouvement à l’arrivée des hélicoptères et des autres renforts.

Le militaire n’oubliera jamais les souffrances intolérables dont il fut le témoin en entrant dans les collines de Bisesero le 30 Juin 1994. « Ça m’a détruit », dit Marin Gillier, qui vit au sol des centaines de cadavres, certains brûlés à la grenade et plusieurs gonflés ou en décomposition, c'est-à-dire tués plusieurs jours plus tôt. « Nous avons vu des survivants qui sortaient tout juste de l’horreur. Ils étaient prostrés, épuisés et ils avaient froid. J’ai vu un bébé qui tétait le sein de sa mère et la mère qui n’avait plus de tête (…) Une petite fille est venue me parler. Elle était debout devant moi. Le sommet de sa tête arrivait à peu près au niveau de ma ceinture. Elle n’avait plus d’os sur son crâne. Je voyais son cerveau et elle me parlait. » Les soldats français prirent soin des blessés. « On s’est dépêché de les rassembler, les protéger, les couvrir, les nourrir, les rassurer et leur donner la protection médicale. » On estime à 800 les Tutsis sauvés par l’armée française dans les collines de Bisesero en 1994. « C’est la mission la plus importante de ma vie », estime Marin Gillier qui a également servi en Afghanistan, en Somalie et dans les Balkans.

Malgré le secours et l’aide apportés à des milliers de villageois dans tout le Sud-Ouest du Rwanda, l’armée française et les responsables ayant servi sous François Mitterrand sont en proie à une cabale menée par des journalistes français, des chercheurs, des activistes et des lobbyistes. Un certain nombre de ces individus ont construit leur carrière sur le commerce du récit officiel du génocide, selon lequel les seuls acteurs des violences de 1994 étaient les Hutus et Kagamé, l'homme qui mit un terme à l'horreur. Premier journaliste occidental à avoir fait le récit des crimes et de la propagande du FPR, Pierre Péan a démontré comment les Tutsis sauvés par l’armée française ont initialement réagi avec joie et gratitude en 1994 mais ont plus tard accusé les Français d’avoir protégé les criminels hutus. Péan a également mis en évidence les contradictions et les incohérences du compte-rendu plein d’émotion du journaliste Patrick de Saint-Exupéry. En 2015, lors de l’enquête judiciaire en France, il a indiqué comment le FPR avait infiltré Kibuye avant les massacres de Bisesero. Il a expliqué que le FPR avait une base logistique sur la rive du lac Kivu, la faisant passer pour une clinique, et transportait des armes de la base du FPR à Kigali, le CND, à Kibuye avant l’arrivée des forces françaises à Bisesero.

James Munyandinda déclare que malgré la propagande de Kigali, les Rwandais sont reconnaissants envers les militaires français de l’opération Turquoise. « Kagamé a tenté de diaboliser l’armée française et prétend que ses soldats ont échoué à sauver les Tutsis. Mais ce sont des milliers de gens que l’armée française a sauvés des tueurs, de la milice hutue et du réseau des commandos de Kagamé. Nombre de Rwandais voient les militaires français comme des héros. »

LES SURVIVANTS TUTSIS

Plusieurs sources affirment que les civils tutsis victimes des violences du FPR et sauvés par des voisins hutus, des prêtres ou l’armée de Habyarimana pendant le génocide, ne peuvent raconter leur histoire parce qu’ils craignent d’être assassinés au Rwanda ou pourchassés à l’étranger par les agents de Kagamé. Ils ont choisi au contraire de se taire ou accepté de mentir pour protéger leur famille et, dans bien des cas, profiter de privilèges : emplois, visas ou accès à l’éducation. J’ai rencontré une femme terrorisée à l’idée de dire ce qui s’est passé dans son village, aux alentours de Bisesero, pendant le génocide et après. D’accord pour raconter son histoire, elle insiste pour ne pas nommer ceux qui l’ont sauvée ni où elle s’est cachée afin que le FPR ne puisse l’identifier et s’en prendre à elle et sa famille. Elle rapporte comment un prêtre hutu - elle le considère comme un saint - l’a abritée, elle et d’autres Tutsis alors que des hordes de crapules hutus se livraient à leurs exactions. « Nous ne savions pas d’où venaient ces bandits… Ils sont arrivés comme des sauterelles et se sont mélangés aux Hutus locaux », dit-elle. Plus tard, elle et d’autres Tutsis furent protégés et nourris par la gendarmerie d'Habyarimana. « Là où j’étais, personne n’a été violé ou menacé par les gendarmes, les militaires ou les autorités du gouvernement », explique-t-elle. Des semaines plus tard, la gendarmerie la ramena à son village où les forces françaises la secoururent fin juin. « Les soldats français n’ont jamais abandonné les Tutsis. Ils m’ont secourue et bien d’autres encore. Chaque fois qu’on leur a dit qu’un Tutsi se cachait, ils allaient le chercher. Ils ont pris au sérieux tout ce qu’on leur disait sur notre situation. » Cette femme affirme également qu’elle a vu les Français désarmer et arrêter les brigands hutus et les miliciens chaque fois qu’ils ont pu. Fin juillet 1994, l’armée française la remit avec d’autres Tutsis à une ONG française dont le personnel les transféra ensuite dans une zone contrôlée par le FPR. Et c’est là que l’impensable se produisit : les femmes furent séparées des hommes et amenées dans une maison où elles furent violées par les officiers du FPR. « J’ai entendu des filles et des femmes hurler la nuit… Quiconque résistait était tuée le lendemain. » Cette femme s’est enfuie dans la forêt, a fuit le Rwanda pour le Burundi et vit maintenant à l’étranger.

Un Tutsi du nom de Léonard, aujourd’hui en exil, a perdu la plupart de sa famille à Bisesero, « Après que le FPR a pris le contrôle de cette zone, ils ont continué à tuer les survivants. Après la guerre, les gens du FPR étaient pleins d’arrogance. Dans les bars, ils parlaient de ce qu’ils avaient fait, de combien de Tutsis avaient été tués. » Actuellement, de nombreux Tutsis savent que le FPR a exterminé leur famille mais sont contraints au silence. « Les Tutsis de l’intérieur sont désespérés. Beaucoup d’entre nous sont condamnés par ce régime. Nous devons coopérer ou mourir. »

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